Après Christoph Hochhäusler et Henner Winckler, c’est au tour d’Ulrich Köhler d’avoir les honneurs d’une édition en double DVD. Moins connu que ses aînés de l’école de Berlin, ce cinéaste possède déjà un univers singulier : à l’image d’Antonioni, Ulrich Köhler part d’une situation de suspense qu’il dynamite immédiatement, proposant au spectateur une déambulation étrange et inattendue. Résolument modernes, ses films s’articulent autour d’un personnage aliéné, observant, impuissant, sa vie lui échapper. Merci à La Vie Est Belle pour cette belle édition DVD, qui accompagne Montag, sorti en 2006, de son premier film, Bungalow et d’un entretien bref, mais passionnant.
Montag
Sorti discrètement en 2006, Montag est un film sur l’errance. Ses personnages prennent une trajectoire étonnante, semblant dériver sans fin, à la recherche d’un ailleurs improbable. La scène initiale présente deux fausses pistes : on y voit Nina dans l’hôpital où elle travaille, reprocher à son mari d’y avoir amené leur fille sans réfléchir. Non seulement la réalité professionnelle est immédiatement évacuée – Ulrich Köhler étant fidèle à la tradition behavioriste de l’école de Berlin –, mais s’il y a un personnage qui agit sans réfléchir, c’est bien Nina.
Montag pourrait être un douloureux et banal récit d’apprentissage de la vie, à ceci près que les personnages semblent n’avoir rien retiré de cette expérience et reproduire toujours les mêmes erreurs. Nina et son frère Christoph – qui sont les deux pivots narratifs – n’assument pas leur rôle d’adultes responsables, n’ayant pas renoncé à l’univers d’insouciance et de liberté de l’enfance. Ils agissent de manière purement instinctive, en dehors de toute logique. Quand Nina abandonne son mari et sa fille, son frère n’en finit plus de tromper sa copine. Tous les deux partagent une forme d’ennui et d’insatisfaction devant la banalité de leur vie, essayant maladroitement de s’écarter un peu des rails tout tracés de leur existence. Au risque de perdre la confiance de leur partenaire et de devoir tout recommencer à zéro. Rien n’advient vraiment dans Montag : tant le match de tennis nocturne que la sexualité des personnages apparaissent comme des simulacres.
Ulrich Köhler aborde ces problèmes existentiels avec justesse, évitant toute lourdeur. On regrettera que l’errance nocturne de Nina, faute d’être ouvertement fantastique, reste dans un entre deux qui nuit à sa crédibilité : basculant du naturalisme à la fantasmagorie – avec l’utilisation des codes du conte ou de l’absurde –, Montag déroute, là où un Christoph Hochhäusler, dans Le Bois lacté, était parvenu à nous hypnotiser.
Bungalow
Cette édition DVD nous permet de découvrir le premier film d’Ulrich Köhler, réalisé quatre ans avant Montag, mais demeuré inédit en France malgré sa présentation au festival de Berlin. Si le réalisateur se cherche encore et n’atteint pas la maîtrise de Montag, Bungalow esquisse des thèmes qui deviendront des motifs récurrents. Centré également autour d’un personnage asocial, il raconte la dérive d’un adolescent, qui, ayant fuit son escadron de service militaire, est recherché pour désertion. Mais la fin qui pourrait laisser croire à un banal thriller est un leurre : Bungalow déjoue les attentes du spectateur, se servant de son point de départ comme d’un prétexte à l’observation de la lente, mais méthodique destruction de son antihéros. Comme la Nina de Montag, frustré par sa piètre existence et miné par l’ennui, il trahit la confiance de ses proches : son frère jalousé et sa petite amie seront ses cibles, même si à travers eux, c’est surtout lui qu’il détruit. À ce titre, Paul est un lointain cousin des personnages hanekiens. L’absence apparente de moralité de son personnage, mais aussi la crudité des scènes sexuelles dénotent l’influence de Bruno Dumont. Mais ces références flatteuses ne suffisent pas à convaincre, la faute à une absence totale de rythme. Les plans-séquences sont étirés à l’extrême, mais, contrairement à Montag, sans réelle justification. On appréciera quand même la rigueur des cadres et le sens de la composition plastique, hérités par le réalisateur de sa formation aux beaux arts.
Bonus
Des trois suppléments, seul l’entretien avec le réalisateur offre un intérêt véritable. Interrogé par le complice Christoph Hochhäusler, Ulrich Köhler sait parler de son travail avec pertinence. Il explique d’abord que le titre de son premier film, Bungalow, désigne le désir de modernité de la génération des parents qui s’est finalement dissout dans le conformisme. Modernité, le mot reviendra à plusieurs reprises dans le discours du réalisateur. Ses films sont situés de plain-pied dans la modernité : le personnage principal doit construire sa vie sans objectifs précis, se heurtant à l’absence de sens, les grandes idéologies ayant échoué. Sa conception du cinéma est résolument moderne : plutôt que de partir d’une intrigue classique, Ulrich Köhler revendique une approche plus instinctive, ayant en tête un univers et un personnage placé dans une situation de base. Le spectateur, au lieu de s’identifier aux personnages, est amené à les observer en temps réel. C’est donc logiquement que, évoquant sa formation au cinéma en tant qu’art en France, il cite les grands cinéastes modernes Godard, Antonioni et Cassavetes. Lucide, il reconnaît que ses films tournent toujours autour des mêmes thèmes, balayant un spectre restreint. Enfin, il parle de sa rencontre à l’école de cinéma de Hambourg avec des personnes ayant de l’expérience et qui deviendront ses amis et collaborateurs, comme Henner Winckler.
Les deux courts-métrages complétant cette édition DVD sont d’un intérêt limité, tournant autour de l’exploration d’un lieu jusqu’à l’épuisement. Feldstrasse, réalisé en 1993, est purement expérimental : « dix caméras super‑8 déclenchées simultanément et livrées à elles mêmes » captent le passage incessant des passants dans une rue de Hambourg, aux abords d’une place, devant un café ou une cabine téléphonique. C’est le prétexte à des variations ludique sur le montage – avec les raccords ou les retours en arrière – ou sur les grosseurs de plan. Palu, coréalisé avec Joseph Dehn en 1998, affiche une forme plus classique, délaissant la captation à la limite du documentaire pour une ébauche de fiction : dans une montagne enneigée et battue par les vents, un homme croise la route d’un lapin blanc découvert caché dans un trou creusé dans la neige et celle d’un homme dans un chasse neige. Un jeu sur la durée des plans et le montage, mais surtout sur un foisonnement sonore qui contraste avec l’épure narrative.