Sortis en 2005 et 2006, Voyage scolaire et Lucy sont l’une des plus belles représentations de cette « nouvelle vague » allemande dont on parle maintenant depuis quelques années. Leur réalisateur, Henner Winckler, fait preuve d’une finesse surprenante pour retranscrire l’univers des adolescents. Deux films à découvrir.
Depuis 2004, le cinéma allemand connaît un regain de vitalité que nous n’avions pas observé en France depuis les années 1970 et la consécration de cinéastes tels que Werner Herzog, Wim Wenders et Rainer Werner Fassbinder. D’un côté, le pays fouille dans la complexité de son passé pour fournir des œuvres à forte dimension historique, que ce soit au travers d’un portrait inédit et contesté d’Hitler (La Chute), de l’effondrement communisme (Good Bye Lenin !) ou encore, plus récemment, d’un retour sur les méthodes de la Stasi (La Vie des autres). Ces films, souvent académiques, rencontrent un succès public incroyable, comme en témoigne justement la longévité de La Vie des autres dans le box office français (1,4 millions d’entrées en 19 semaines de présence dans les 20 premiers), probablement aidé par l’Oscar du meilleur film étranger décroché à Hollywood en février dernier.
Pourtant, la nouvelle vivacité du cinéma allemand ne s’arrête certainement pas à une poignée de films susceptibles de déplacer les foules et de remporter toute une collection de prix. Depuis trois ans, la France voit sortir quelques films particulièrement ambitieux. Si certains font preuve d’une austérité parfois à la limite du caricatural (Montag d’Ulrich Köhler, Marseille d’Angela Schanelec), deux cinéastes ont réussi à imposer leur univers singulier : Christoph Hochhäusler (L’Imposteur, Le Bois lacté, deux films qui devraient faire l’objet d’une édition à la fin de l’été) et Henner Winckler dont les deux premiers films sont ici réunis sur un seul et même DVD.
Voyage scolaire, comme son titre l’indique, suit un groupe de lycéens allemands en voyage scolaire dans une région côtière de Pologne aux allures de no man’s land. Jamais les raisons de ce voyage ne sont explicitées et les encadrants adultes restent très clairement en retrait. Du coup, dans ce contexte assez énigmatique propre à toutes sortes de digressions, le réalisateur parvient à capter le flottement vaguement mélancolique de ces adolescents dont la présence dans ces lieux ne se justifie jamais. Un peu comme s’ils étaient hors du monde, incapables de se donner la moindre raison d’être vivants, ils errent, se cherchent, se testent et parfois se perdent. En prenant pour point central un jeune garçon vaguement timide qui parvient difficilement à exister auprès des autres, le réalisateur dresse le portrait dépourvu de clichés d’une génération pour qui tout commence, mais souvent dans une certaine violence et le rejet de l’autre. Loin de tomber dans la facilité de mettre en scène les hauts, Henner Winckler se passionne pour les bas, ces moments d’ennui où il ne se passe rien, qui rendent on ne peut mieux compte de la lourdeur qui caractérise ce passage entre l’enfance et l’âge adulte.
Ce refus du psychologique pour capter les émotions à l’état brut se retrouve dans son second long métrage, Lucy, sorti sur nos écrans en juillet 2006. Dans ce film, le réalisateur s’immerge dans le quotidien d’une fille-mère de 18 ans dont le parcours semble sensiblement proche de sa propre mère avec qui elle vit. Comme dans Voyage scolaire, tout semble comme en mouvement permanent, rien n’est figé autour des personnages. La présence du bébé révèle le rapport que chacun entretient avec le monde qui l’entoure car ce nouveau venu confronte chacun à ses choix et ses désirs. Bien loin de vouloir démontrer en prouvant les responsabilités, les causes et les conséquences, Henner Winckler est avant tout un observateur, le capteur d’un quotidien libéré de toute scénarisation outrancière.
Les bonus de cette édition proposée par La Vie Est Belle ne sont pas très nombreux mais ont au moins le mérite de proposer une curiosité, le premier court-métrage du cinéaste, Baden, dans lequel se dessinent les thématiques de ses longs à venir, ainsi qu’une interview de ce dernier qui nous éclaire un peu plus sur son travail.