Un jour, sans raison apparente, Nina quitte sa fille, son mari et toutes les contraintes que cela induit, pour une longue errance sur les abords d’une autoroute, pour un bref séjour chez son frère puis pour une sinistre chambre d’hôtel où elle rencontre un vieux tennisman. Terne et vaguement subversif, le film est un peu à l’image de son personnage principal : à force de ne pas vraiment savoir où aller, il laisse tout le monde sur la touche.
Dans l’interview que le réalisateur a accordée dans le dossier de presse, ce dernier explique qu’il refuse le terme de « Nouvelle Vague » pour expliquer le renouveau d’un certain cinéma allemand, affirmant sans sourciller que le « cinéma allemand après Fassbinder ne [l]‘intéresse pas », argumentant que dans son pays, « le cinéma de fiction, c’est essentiellement des comédies qui cherchent uniquement à avoir un succès commercial et qui ne marchent que dans le système des subventions ». S’il semble évident que le qualificatif de « Nouvelle Vague » ne fait pas preuve de grande originalité et qu’il est peut-être un peu trop tôt pour transiger sur le renouveau du cinéma germanique, n’empêche qu’il serait dommage de s’en tenir uniquement aux derniers succès venus d’outre-Rhin, à savoir Good Bye Lenin ! (au passage plutôt réussi) et le sinistre The Edukators (réalisé par Hans Weingartner). N’en déplaise à Ulrich Köhler qui marque fièrement son exigence dans ses partis-pris esthétiques, il n’est certainement pas le seul à prouver que renouveau n’est pas forcément synonyme de comédies populaires médiocres. En quelques mois seulement, nos écrans français ont pu se régaler d’une distribution de Marseille d’Angela Schanelec, d’En route de Jan Krüger, mais surtout des films de Henner Winckler (Voyage scolaire en 2005, Lucy en 2006) et de Christoph Hochhäusler (Le Bois lacté en 2004, L’Imposteur en 2006). Tout comme Montag, force est de constater qu’une grande partie des films précités traitent du même thème, à savoir l’exil ou l’errance conséquente, loin de l’esthétique balisée du cinéma de studio. Ces thématiques et les choix esthétiques (décor naturel, son direct) ont probablement justifié le choix du terme « Nouvelle Vague » que Françoise Giroud avait employé pour définir le cinéma de Godard, Truffaut, Rohmer et Chabrol au tout début des années 1960.
Dans le cas du film d’Ulrich Köhler, il s’agit d’une jeune femme, Nina, qui s’absente de la maison familiale alors en travaux pour ne plus revenir, du moins momentanément. Elle laisse sa fille et son mari, squatte quelques temps chez son frère avant de prendre à nouveau la fuite pour investir une chambre d’hôtel où elle rencontre un tennisman sur le retour. Les dialogues sont rares et il s’agit bien là d’un film sur la solitude des âmes, l’incapacité que rencontre chacun à exprimer son mal de vivre, le choix que font certains de fuir devant les contraintes et les obligations. Le cinéaste s’est bien évidemment gardé de juger cet abandon momentané (la fille ne semble pas souffrir de l’absence de sa mère) pour scruter méticuleusement la faille d’un être, d’un couple, qui devient progressivement une béance. Le parcours de Nina reste néanmoins balisé : de la rencontre avec le frère et sa copine à la chambre d’hôtel, rien n’est vraiment exploité. Quelques déclarations sur la politique internationale de l’Allemagne, un évanouissement inexpliqué, un vieux tennisman qui joue en costume pour amuser les clients d’un hôtel perdu, une grossesse qui n’aura peut-être pas lieu : Montag entame quantité de débuts qui, même dans leur inachèvement (à cet effet, voir le plaisant Garçon stupide du Suisse Lionel Baier), limitent les possibles d’une fiction trop prétentieuse pour être faite avec les tripes. La morosité et l’ennui même pas poli que suscite le film tiennent surtout de cette absence terrible d’amour et de chaleur humaine qui, au lieu de faire état de l’individualisme forcené de nos sociétés, empêche le propos de prendre véritablement forme.
Le cinéaste cite Wanda comme modèle revendiqué et on avait justement pu reprocher au film de Barbara Loden d’être dépourvu d’humanité, de se complaire dans le sordide quotidien d’une femme dont le portrait aurait fait hurler les féministes les plus acharnées. Il est vrai que l’absence symptomatique d’amour et de chaleur humaine qui parcourait le film distinguait totalement Wanda du cinéma de Cassavettes – auquel on l’a rapproché – qui, derrière sa cruauté, était de bouleversants témoignages d’amour. Mais l’expérience unique de Barbara Loden trouvait toute sa justification dans ce dernier plan, fixé sur le visage fatigué d’une femme devenue soudainement anonyme au milieu de la foule. Montag n’offre même pas ce seul point d’ancrage. La dureté du cadre revendiquée par le réalisateur n’a pas la force de ceux construits par Dumont dans Flandres ou ceux des frères Dardenne. Même lorsque le couple se retrouve finalement pour un début d’étreinte dont l’arrêt souligne l’irrémédiable changement de leur relation, la morosité totale de ce film à la limite du glauque prend le dessus et éteint définitivement toute tentative d’empathie.