Pour la première fois depuis la sortie du superbe coffret de Perfect Blue, le réalisateur Satoshi Kon connaît les honneurs de la sortie en salle avant que son film ne rejoigne les DVDthèques. Ce choix de la part du distributeur est d’autant plus judicieux que Paprika est certainement le film de Kon qui, à ce jour, mérite le plus d’être admiré sur un grand écran, de par son étourdissante splendeur visuelle. Qu’attendre donc de l’édition DVD, sinon qu’elle nous fasse pénétrer dans les arcanes de la création de ce film, entre délire psychédélique et onirisme pictural ? Plutôt pingre en termes d’abondance pure, cette édition privilégie la qualité, et nous offre une plongée plutôt inattendue dans la création artistique de Satoshi Kon.
Le second DVD de cette édition est exclusivement consacré aux bonus, interviews et reportages. Jusqu’au bout du rêve aborde le film d’une façon inédite, en donnant la parole aux acteurs vocaux du film et à Satoshi Kon pour qu’ils s’expriment sur leurs propres rêves, et la façon dont ceux-ci ont influé sur le film, démontrant de façon troublante à quel point le cinéma et le rêve finissent par s’interpénétrer, que cela soit pour le réalisateur, les acteurs, ou les spectateurs de Paprika. Les interviews très pédagogiques de Michiya Katou (directeur de la photographie), Masashi Andô (directeur de l’animation) et de Nobutaka Ike (directeur artistique), si elles sont relativement courtes, permettent de juger à quel point le souci du détail est présent chez Satoshi Kon, et combien semble, pour lui et son équipe, importer que l’image même soit signifiante. Plus intéressantes et originales, les interviews croisées de Satoshi Kon et Yasutaka Tsutsui, auteur de la nouvelle, leur donnent la possibilité d’exprimer leur regards sur l’œuvre de l’autre : un regard tout en respect et en humilité, pour deux hommes qui cependant conçoivent explicitement leurs œuvres comme séparées l’une de l’autre.
Le seul véritable « bonus » du premier DVD est le commentaire de Satoshi Kon, Hirasawa Susumu (auteur de l’hypnotique bande originale) et du producteur Morishima. Ces commentaires, manifestement improvisés par les intéressés lors d’une diffusion du film, suivent de façon chaotique le déroulement du film, les uns et les autres se permettant nombre de digressions. C’est cet apparent chaos qui maintient tout l’intérêt de ce commentaire, à tel point que l’image du film se déroulant en même temps apparaît rapidement comme une simple illustration de cette confession artistique. L’idée centrale, et rétrospectivement indispensable à la meilleure appréhension du film, est que si Kon a repris le livre de Tsutsui, il l’a fait dans l’intention manifeste de proposer un support au musicien Hirasawa Susumu. « L’image de M. Kon a un rythme musical », lance celui-ci, et entendre le musicien parler d’une vision crypto-sensorielle de son œuvre projette une image miroir des propos de Kon qui, revenant sur les références citées dans son film (Blade Runner notamment), souligne qu’en expliquant ces références, il « ne transmettrai[t] pas l’impression, qui est primordiale ».
Récit décousu et passionnant de la perception d’un film profondément impressionniste, ce commentaire et la qualité magnifique de l’image et du son du film rattrape certainement la – très relative – déception qui accompagne le second DVD, plus commun. Cela étant, faire la fine bouche alors que cette édition permet de pénétrer plus avant dans l’univers d’un cinéaste par trop méconnu est quelque peu hypocrite, tant il est vrai que cette édition peut combler les amateurs de Satoshi Kon – en attendant, plus tard, une édition limitée bourrée de bonus alléchants comme celle de Tokyo Godfathers.