« Une info sur Twitter, ce n’est jamais très crédible, il faut attendre confirmation… » Avions-nous oublié, ce 24 août 2010, les leçons baroques de Satoshi Kon ? Que, certainement, le monde n’est qu’illusion, et que le cinéma est une façon des plus innocentes, des plus jouissives, de le ressentir… C’est bien plutôt en ce nom qu’il eût fallu douter !
Satoshi Kon n’a jamais été avare de Deus ex Machina, marque bienveillante d’un artiste démiurge qui soulage finalement ses personnages, pour une fin plus heureuse. Hélas, le cancer, à 47 ans, semble résister à ce procédé narratif. Vous eussiez pu, Satoshi ‑vous permettez que je vous appelle Satoshi ?- faire un effort : je doute que personne ne s’en soit plaint…
Il est d’usage de couvrir de fleurs le nom d’un mort – un usage peut-être galvaudé. Qu’il nous soit permis de nous réjouir d’avoir pris les devants, d’avoir loué de votre vivant la finesse, l’intelligence et le talent qui présidaient à votre œuvre. Tout cela va nous manquer, Satoshi. Mais merci quand même.
Arrivé au poste de réalisateur à 34 ans, en 1997, six ans à peine après ses débuts dans l’animation, Satoshi Kon a suscité la surprise de la profession et de la critique avec le sombre et mature Perfect Blue, un film qui est aujourd’hui à ranger au panthéon des dates de l’animation, au même titre que Ghost in the Shell, Akira, Jin-Roh, ou Nausicaä de la Vallée du Vent. Depuis, le réalisateur a décliné à travers une série animée phénomène (Paranoia Agent) et trois films (Millenium Actress, Tokyo Godfathers et le récent Paprika) son univers ténébreux, onirique, riche de sens et fort d’un regard unique sur l’animation et le cinéma. Son œuvre reste méconnue du public, puisque cantonnée à des éditions DVD souvent peu attractives, et dont la richesse est subordonnée par les éditeurs à une présentation qui mise tout sur la simple appartenance de ces films au genre de l’animation, genre toujours plus vendeur. Avec la sortie sur les grands écrans de Paprika, Satoshi Kon revient sur le premier plan de l’actualité du cinéma : c’est l’occasion de découvrir le monde singulier d’un réalisateur au ton très personnel.
La femme, axe et structure
Satoshi Kon privilégie ses personnages féminins, non seulement en tant que centres de ses intrigues et de ses scenarii, mais également en tant que pivot central du monde qu’il crée. La femme est, dans son œuvre, presque divine, tant sa place dans la réalité est celle de la créatrice, d’une être qui structure et régit le monde autour de lui. Si le point de départ de cette idée de la femme-démiurge peut se trouver dans les concepts chinois de Yin et de Yang (la femme y est, pour dire les choses très sommairement, une force structurelle), Satoshi Kon développe rapidement une mystique propre à son univers, qui donne à la femme dans ses films le désir de créer et la possibilité de le faire, mais l’accable aussi du doute qu’une telle puissance peut créer.
Mima Kirigoe, l’héroïne de Perfect Blue, quitte la carrière d’idole de musique pop très populaire pour se lancer dans une carrière d’actrice, qui va non seulement lui faire subir de terribles épreuves et une complète remise en question, mais aussi susciter l’ire de ses admirateurs, et notamment d’un mystérieux otaku. Perfect Blue, très pertinemment, double son scénario machiavélique et digne d’Alfred Hitchcock d’une réflexion sur ces passions démesurées. Que reproche t‑on, finalement, à Mima, sinon de s’être volontairement déchue de son statut de divinité ? L’aspect trivial de cette déchéance transparaît dans les épreuves qu’elle subit dans sa carrière d’actrice – non seulement elle est méprisée et remisée au second plan, mais elle est l’objet d’humiliations constantes et terribles, d’autant plus intenses qu’elle était auparavant chérie par des milliers de fans inconditionnels. Mima elle-même cherche constamment à retrouver cet état de grâce, à redevenir le centre de son monde doré et non plus une anonyme. Avec cela à l’esprit, elle peut se demander légitimement si les meurtres sauvages de ceux qui sont responsables de sa déchéance – son agent, un photographe de nu, un scénariste vaguement pervers – ne sont pas de son fait, d’une image d’elle encore présente dans son inconscient et qui aspire à la pureté et à l’absolu de sa condition passée. Et quand bien même, enfin, il apparaît qu’elle n’est pas responsable de ces atrocités, Mima doute toujours, profondément, de les repousser avec toute la véhémence qu’on pourrait attendre d’elle. N’est-ce pas une forme de justice ? Mima s’imagine créer un double d’elle-même, toujours investi de la puissance et de l’impunité de son statut de star sortie du réel ; elle doit donc, en tant qu’humaine, assumer aussi les conséquences de cette toute puissance créatrice. Mima est l’idole-actrice déchue, en cela qu’elle est sortie de l’état de grâce où tout n’était qu’apparence, mais que les illusions de son existence précédente la poursuivent : elle est une hybride, une idole affligée des doutes d’une humaine.
Chiyoko Fujiwara, le personnage principal de Millenium Actress, est le contraire de Mima. Ancienne gloire adulée du grand écran, elle a choisi elle aussi de descendre de son piédestal, mais pour une raison que tout le monde a ignoré, elle exceptée. La différence avec Mima est que le film la décrit des décennies après cette décision, recluse et ayant – peut-être – laissé derrière elle les tentations et les regrets suscités par son choix. À la vérité, on s’aperçoit bien vite que Chiyoko n’a aucunement laissé derrière elle une vie fondée sur l’illusion et l’espoir. Ayant connu adolescente un mystérieux vagabond qu’elle a protégé de la police, elle a passé le reste de sa vie à le rechercher, aussi bien physiquement dans le monde réel, que dans la fiction de ses rôles. Chiyoko, elle aussi, est une idole créatrice, démiurge omnipotent d’un monde artificiel qu’elle a créé sous les auspices de l’amour jamais assouvi mais toujours recherché. Plus sereine que Mima, elle assume sa double nature semi divine, en tant qu’icône cinématographique immensément populaire, et en tant qu’actrice de ses propres illusions.
Sagi Tsukiko, l’un des personnages principaux de Paranoia Agent, constitue une variation plus poussée encore de la femme créatrice / actrice que Chiyoko ou Mima. Alors qu’elle est sous le coup d’un stress terrible, elle s’imagine être agressée par un jeune garçon muni d’une batte de base-ball. Il s’avère rapidement qu’elle a tout imaginé, mais le phénomène se reproduit de façon presque surnaturelle : toutes celles et tous ceux qui cherchent à échapper à un quotidien oppressant finissent victimes d’un même agresseur, une fois que la rumeur de son existence se répand. Sagi perd de suite, et inconsciemment, le contrôle de sa création, et refuse, plus encore que Mima, d’en prendre la responsabilité. Alors que le récit se prolonge et que la réalité perd chaque minute un peu plus de sa tangibilité dans la réalité créée à son insu par Sagi, il appartiendra à l’inspecteur Karino de faire en sorte qu’elle fasse face à ses responsabilités et à ses démons.
Le duo Paprika / Atsuko Chiba, dernière venue dans la tradition des femmes créatrices chez Satoshi Kon, est aussi la plus complexe, puisqu’elle sépare sciemment deux aspects de sa propre personnalité. Si le Dr Atsuko Chiba est engoncée dans des conceptions préétablies de devoir, de responsabilité, et par une volonté active d’outrepasser les archétypes de la femme maintenue hors des sphères du pouvoir, Paprika, son alter ego dans le monde des rêves, aspire aux mêmes choses avec une énergie et un allant tout autres. L’une porte sur son visage le sérieux et la sévérité de ses névroses sociales et culturelles, l’autre est extravertie, souriante et volubile, et possède le pouvoir de changer et de créer ce qu’elle désire dans le monde onirique. Profondément, Atsuko / Paprika est l’aboutissement de la réflexion de Satoshi Kon sur ses personnages féminins, et sur les déclinaisons de la création, et donc de la maternité, en elle. En donnant corps à Paprika, et alors que celle-ci passe dans le monde concret, Atsuko finit par accepter ses doutes, en faisant face à cet autre elle-même.
La présence féminine est également au centre de Tokyo Godfathers, même si elle est beaucoup plus ténue, moins évidente. Les trois SDF-rois mages qui rejouent cette moderne nuit de la nativité sont perpétuellement en recherche de la femme idéalisée : Gin vit avec le fantôme de la vie qu’il menait auprès de sa femme et de sa fille, une vie qu’il s’accuse d’avoir gâchée ; Hana est un travesti vieillissant, qui cherche perpétuellement à atteindre la condition de femme autant que de mère ; la jeune Miyuki, enfin, hésite entre la vie miséreuse et finalement asexuée de SDF et le retour dans une famille qu’elle a quitté, et qui lui assurerait de revenir à la normalité. La femme (sous les traits de la mère d’un bébé abandonné dans les poubelles, mais aussi comme l’idéal pour les personnages) est la grande absente, la grande recherche de Tokyo Godfathers – avec dieu, évidemment. Les deux entités sont placées au même niveau d’abstraction, de réceptacle de l’espoir et de l’idéal, et finissent par se confondre dans l’image d’une mère iconique. Face à elle, la misère dans laquelle tentent de survivre les protagonistes, l’indifférence urbaine d’un Tokyo inhumain, la solitude des êtres apparaissent comme ses opposés.
Le Japon urbain, ou l’architecture de la solitude
Le style visuel de Satoshi Kon diffère remarquablement, selon qu’il dessine ses personnages ou leur environnement – qui est le plus généralement urbain. Ses personnages, il les dépeint toujours à la limite de la caricature, refusant le réalisme, au profit d’une apparence très expressive pour les protagonistes. L’otaku de Perfect Blue, le docteur obèse dans Paprika, Gin et Hana dans Tokyo Godfathers, le journaliste de Millenium Actress… nombre de ces protagonistes existent autant par leurs actions que par leur apparence, parfois excessivement stylisée. Le réalisme n’a pas de place ici : c’est un choix stylistique de la part du réalisateur que de se focaliser sur le côté exclusivement dessiné de ces personnages. Satoshi Kon assume pleinement les possibilités narratives de son média, l’animation, au risque de donner dans la surenchère visuelle.
La ville, théâtre presque exclusif des récits du réalisateur, est par contre toujours dépeinte avec une scrupuleuse véracité, et un luxe de détails impressionnant. La ville est un personnage à part entière : les personnages n’existent souvent que dans leur rapport à la cité, dans Tokyo Godfathers, évidemment, puisque les protagonistes se définissent avant tout par leur mise à l’écart de la ville, mais dans tous les films de Satoshi Kon. L’architecture, à la différence des humains, est toujours froidement précise, oppressante, lourde et sans fantaisie. Les protagonistes de Tokyo Godfathers sont affaissés, vivent dans des endroits qui tiennent tant bien que mal, parcourent les ruines : face à eux, la ville est clinquante, lumineuse, inaccessible. Dans Paprika, l’héroïne et le commissaire ne parviennent à débuter leur enquête que grâce à la stabilité du décor : c’est en effet la seule chose stable dans leur environnement déjà caviardé de poches de réalité onirique. La ville est la même, qu’elle soit aperçue dans un rêve ou non : elle est le seul facteur qui refuse de se plier à la loi anarchique de l’onirisme envahissant libéré par les DC Mini. Dans le même ordre d’idée, la ville de Paranoia Agent refuse le chaos fantasmatique qui s’empare de ses habitants : alors que l’intrigue avance, elle reste la seule chose à échapper à son influence. Après la destruction finale qui clôt la série, le premier facteur de normalité à revenir est la ville, reconstruite avec célérité et célébrée comme un accomplissement par les médias, alors même que l’affaire a fait des milliers de victimes humaines. Chiyoko, dans Millenium Actress, n’existe aussi que par l’entremise du décor. En effet, elle était oubliée de tous, même du fidèle journaliste qui est en adoration devant elle, jusqu’à ce que les locaux de son studio soient détruits : la mémoire est libérée par la chute de la stabilité architecturale, autant que par la découverte de la clé symbolique, trésor de l’ex-actrice. Mima, enfin, dans Perfect Blue, prend conscience de l’existence d’un double d’elle-même pour la première fois alors que la ville lui renvoie physiquement son image : l’autre Mima se met ainsi à lui parler alors qu’elle se reflète sur les immeubles, dans les vitres, dans le métro.
C’est également, bien sûr, par le biais d’internet, qu’elle se rend compte de l’existence de cet autre. Satoshi Kon est peut-être l’un de ceux à avoir le plus judicieusement et le plus intelligemment intégré l’internet dans sa narration. Comme la ville moderne, dont il est finalement un miroir, il est créateur de solitude et d’isolement. L’autre Mima – l’une des autres Mima, à vrai dire – existe uniquement sur la toile, qui alimente les fantaisies schizophréniques de l’otaku qui poursuit l’actrice. Celui-ci s’invente une réalité, une interlocutrice, une vie, tout ce qui lui est notamment interdit par un physique des plus ingrats, grâce aux illusions de l’internet, et cela le dissuade de rechercher la société concrète. Si tout Perfect Blue tourne de façon vertigineuse autour de la mise en abyme potentielle que constitue le net, les autres films de Satoshi Kon traitent aussi du sujet, avec plus ou moins d’intensité. Paranoia Agent, dans sa séquence d’introduction, met en scène une foule de gens muets, fermés, tous accrochés à leurs téléphones mobiles, occupés à s’exprimer via les médias électroniques. Toute la série pourrait être contenue dans cette séquence, dans le rapport solitaire et fantasmatique à la réalité qu’elle induit. Les protagonistes de Tokyo Godfathers ne peuvent pas, eux, se laisser aller à de tels dérivés de communication : la parenté entre la ville, la société et le réseau des télécommunications est encore soulignée lorsque la jeune Miyuki hésite à parler à son père au téléphone. Parler, communiquer, serait ressortir des marges, devoir faire de nouveau face aux pressions et aux solitudes codifiées de la vie urbaine. Avec la téléphonie mobile, et surtout avec l’internet, l’acte de communiquer revient à accepter d’entrer dans la société, ou au moins dans une société donnée. Paprika est tout entier basé sur cette idée : dès le moment où le commissaire se rend via son ordinateur dans un salon virtuel sur internet, il se retrouve physiquement propulsé à cet endroit. Devant son étonnement, Paprika, « avatar » du Dr Atsuko Chiba lui assure que si, il est bien dans un « café virtuel », mais que cet endroit est parfaitement réel. Il est réel, autant que Paprika elle-même peut l’être. Ce que Paprika est au docteur Chiba, ce que l’internet est au réel, c’est également ce que l’animation est en regard du cinéma « réel », et c’est aussi ce que le cinéma est à notre réalité concrète : une empreinte, une ombre fantasmée, souvent idéalisée, dans laquelle les spectateurs sont tellement investis qu’elle est douée d’une vie propre. Une vie qu’elle a définie elle-même, à laquelle cette réalité a appliqué des codes qui sont devenus autosuffisants, sans besoin de référence. Cette image-miroir infiniment plaisante, recherchée et envoûtante, mise en scène par Satoshi Kon, cette illusion complexe dépeinte avec des moyens graphiques qui la posent dès le départ comme une illusion, c’est autant l’internet que le cinéma. Orfèvre de la narration en effets de miroir, Satoshi Kon multiplie les références aux perceptions alternées, à l’illusion, au fantasme : du double meurtrier de Perfect Blue à la ville envahie par les rêves et fantasmes de Paprika, ce dont parle avant tout Satoshi Kon, c’est du désir de l’illusion, et de la façon dont ce désir est aujourd’hui honoré par le cinéma.
Du désir de l’illusion
À voir l’impressionnant répertoire cinématographique déployé dans Millenium Actress, il semble évident que Satoshi Kon est un amateur éclairé du 7ème art. Mais cette cinéphilie ne s’arrête pas là, et le réalisateur aime à mettre en scène son auditoire dans les personnages de ses films. Tels des spectateurs de cinéma, aucun de ceux-ci ne désire la réalité, et tous tendent à privilégier l’illusion.
Cette préférence à l’illusion est peut-être la plus évidente chez les trois protagonistes SDF de Tokyo Godfathers, tant ils sont miséreux et mis en marge de la société. Ce serait cependant méconnaître la multiplicité des regards affectionnée par Satoshi Kon. Ces trois personnages n’espère pas réellement retourner à la normalité, mais préfèrent au contraire se nourrir de chimères. S’ils ont quitté la norme, c’est avant tout parce que celle-ci ne cadrait pas avec l’absolu de leurs visions. Ils vivent dans un monde fantasmé, certes, mais ce monde n’est pas celui aperçu de l’autre côté des verrières des grands magasins. Choisissant de vivre avec un idéal, ils ont consciemment rejeté la norme, qui n’est fondamentalement qu’un piètre travestissement compromis de toute idée absolue. Les protagonistes des films de Satoshi Kon souffrent de leur aliénation à la société, mais ils sont tous plus ou moins conscients du fait que cette souffrance est un mal nécessaire pour donner sens à ces illusions. Se donner absolument à l’illusion requiert de tourner le dos aux satisfactions tièdes de la réalité. C’est un véritable discours de cinéaste artistiquement engagé que celui tenu par le réalisateur : c’est un média par essence abstrait que celui de l’animation, et il se doit de rester abstrait pour trouver vraiment sens. L’animation de Satoshi Kon n’imite aucunement la vie, tout au plus y fait-elle référence.
Le réalisateur prend un malin plaisir à s’amuser avec le besoin de points de repère de son auditoire : Perfect Blue et Paprika sont ceux de ses films qui en jouent le plus, mais le procédé est présent dans toute sa filmographie. Insensiblement, la narration verse progressivement dans la mise en abyme, avec le tournage concret d’un film dans Perfect Blue, et la présentation du film inachevé de l’inspecteur dans Paprika. Loin d’être un colifichet de mise en scène, cette structure infinie est pleinement signifiante. Le réalisateur a pour la rigueur de sa narration des exigences de films aux acteurs concrets : il s’agit à proprement parler de mise en scène, au sens premier, théâtral du terme, et le spectateur finit de se perdre dans ces méandres. Chiyoko et Mima les actrices, Paprika l’avatar, Gin et Hana les SDF, l’agent Karino finissent eux aussi par se perdre dans une narration en miroir, qui imite si profondément leur réalité qu’ils ne peuvent plus faire la différence entre celle-ci et les rêves, illusions, folies qui les assaillent. Et aussi bien le réalisateur que le spectateur suivent leurs pas, posant ainsi la question : qu’est-ce qui importe, finalement, dans le cinéma, dans la fiction ? Que signifie de toujours vouloir rapprocher l’illusion sur l’écran et ceux venus y assister ? La question sous-tend de nombreux films, concrets ou d’animation, mais Kon réussit avec subtilité à intégrer ces questionnements dans un récit envoûtant, exigeant, mais qui sait rester à la portée de tout un chacun. Car finalement, en bon cinéphile, Satoshi Kon sait que l’abstraction totale du récit peut le rendre inaccessible.
Maîtrisant la construction labyrinthique du récit, avec un style visuel toujours plus marqué, mais toujours plus séduisant, le cinéma de Satoshi Kon peut susciter une réflexion profonde sur les façons et buts du cinéma d’animation, et du cinéma tout court, dont la complexité ne se retrouve vraiment que chez le virtuose Mamoru Oshii (Ghost in the Shell, L’Œuf de l’ange, Avalon). Mais tout l’art du réalisateur consiste à laisser un cinéma presque expérimental à la portée de tous, et c’est ainsi que se conclut son récit le plus cryptique et exigeant, Paprika : devant une salle obscure, où l’héroïne susurre à l’oreille de son interlocuteur en guise de conseil-résumé, qu’il faut qu’il aille au cinéma.