Sylvester Stallone est-il un auteur ? Cette question impertinente, qui fera hoqueter pas mal de cinéphiles, est posée dans un essai initialement paru en 2012 sous le titre Sylvester Stallone, un vrai humaniste, et dont l’auteur David Da Silva en livre ici une version « revue, corrigée et augmentée » (par du matériel récent et essentiellement informatif). On est en droit de trouver l’ancien titre plus approprié, résumant mieux dans leur ensemble les thèses développées dans l’ouvrage. On est également en droit de trouver l’idée tout à fait défendable (à Critikat même, elle fait son chemin)… mais l’argumentaire qui la défend ici bien léger.
« Humanisme social non béat »
De toutes les stars du cinéma d’action tel qu’il a pris son essor au début des années 1980, Sylvester Stallone est la seule à avoir œuvré, dès avant cette période et jusqu’à aujourd’hui, pour tenir sa carrière en main en écrivant régulièrement ses propres rôles et scénarios, voire en passant à la réalisation. Le bilan à ce jour est pour le moins inégal, mais bien intrigant, avec son lot de surprises dans le haut du panier, parfois à rebours des clichés qui collent à la peau de la star des Rambo. Sur ce constat, David Da Silva, se basant majoritairement — mais pas seulement — sur les films réalisés et/ou écrits par « l’Étalon italien », tâche d’y définir une ligne directrice et de replacer une telle carrière dans les contextes historiques, politiques et sociaux des époques qu’elle traverse, ceci afin de mettre en évidence une personnalité cinématographique plus complexe et moins primaire qu’on a bien voulu le croire.
Cherchant le dénominateur commun de la plupart des rôles et des films de Stallone, le livre y pointe une certaine forme d’humanisme social non béat, souvent à rebours de l’idéal du rêve américain, mais surtout totalement au diapason du parcours de l’acteur, c’est-à-dire trop souvent brouillé par ses choix de carrière et leurs retombées. Le cœur du cinéma de Stallone, inspiré de son parcours personnel, résiderait dans ses portraits d’individus des couches sociales défavorisées, à la marge du rêve américain, qu’ils soient prolétaires (Rocky, F.I.S.T.), issus de quartiers pauvres (La Taverne de l’Enfer) ou honnêtes serviteurs devenus marginaux (Rambo, voire Cop Land) : portraits où il donne généralement le meilleur de son jeu d’acteur. Dans ces films, sa seule présence rugueuse et épaisse constitue une écharde dans le cliché de la réussite américaine, et il arrive que de tels personnages, prenant leur cause à bras le corps, n’atteignent la grandeur que dans l’échec. Seulement, dans les années 1980, la peur d’être lâché par le succès durement acquis aurait incité Stallone à trahir sa propre inspiration et à verser dans un cinéma à testostérones, plus pompier et conquérant, pris dans l’escalade du genre (concurrence d’Arnold Schwarzenegger), coupé de toute réalité sociale, récupéré en argument de bataille idéologique (ainsi le président Reagan a‑t-il repris Rambo II à son compte, tandis qu’en face la frange gauche de la critique a vu dans cette carrière le porte-étendard d’une politique américaine revancharde et nauséabonde). Et même dans ces films, avance Da Silva, subsisteraient des traces du Stallone profond et concerné tâchant de mettre un peu de lui-même dans la machine mercantile. L’exposition médiatique de cette période de célébrité a été telle que c’est pour cette tendance peu recommandable que l’acteur est, aujourd’hui encore, souvent caricaturé (alors que les arguments commencent à devenir aussi obsolètes que les Guignols de l’Info et leur marionnette « Monsieur Sylvestre »). Et Da Silva n’oublie pas d’évoquer la dernière période où, motivé par sa longue expérience de réussites et d’égarements artistiques et commerciaux, Stallone est parvenu à faire rebondir sa carrière — notamment en reprenant une main ferme sur ses personnages fétiches (Rocky Balboa, John Rambo) — et à s’attirer de nouveau la sympathie du public et de la critique.
« Accumuler une masse de matériau »
La thèse, le portrait de l’observateur du monde derrière la star d’apparence monolithique qu’elle soutient sont sympathiques, et somme toute très défendables. Mais s’il en est ainsi, c’est parce qu’on sent bien que cette thèse mériterait d’être étayée avec une certaine rigueur, non seulement en amassant de la matière à travailler, mais aussi en usant sur elle de mises en perspective, de remises en question. Or l’argumentation de Da Silva déçoit en traitant par dessous la jambe ce travail tout à fait vital de mise à distance. Son argumentaire pour faire de Stallone un auteur tient principalement dans la concordance des thèmes et des dispositions psychologiques rencontrés dans ses films. L’approche n’est pas mauvaise, mais reste superficielle, l’essayiste en oubliant trop souvent d’interroger la matière la plus élémentaire quand on parle de cinéma : l’image. Tout au plus mentionne-t-il certains films se finissant par un arrêt sur image figeant l’extase du héros ; le reste du temps, le regard du livre sur la matière filmique se limite à relever tel ou tel détail censé confirmer automatiquement telle ou telle partie de sa thèse. C’est un peu léger. On a l’impression que Da Silva cherche à tout prix à accumuler une masse de matériau pour étayer sa thèse, mais en se contentant de gratter frénétiquement la surface de son sujet.
L’impression est accréditée jusqu’au malaise par l’usage des abondantes citations. Sur ce plan, la lecture du livre s’apparente au visionnage d’un reportage où les propos des intervenants ne se succéderaient que pour appuyer de façon souvent redondante ceux du commentaire off. Car c’est bien de cette façon que Da Silva accumule les témoignages de ci et de là, extraits de magazines, obtenus par e‑mail ou lus sur le web, et surtout en se gardant du moindre discernement et de la moindre remise en question, prenant tout pour parole d’évangile venant directement soutenir sans réserves son propos, plaçant sur le même plan de recevabilité garantie les propos de Stallone, de réalisateurs, d’assistants de tel ou tel collaborateur, de lecteurs de Mad Movies et de commentateurs du site web Allociné ! Ainsi lui est-il facile de défendre — modérément — Rambo II en commençant par une citation de sa star et coscénariste a posteriori, de juger du succès public d’un film en publiant toute une liste de commentaires d’internautes à pseudonyme, ou encore de considérer que Télérama se met enfin à aimer le cinéma de Stallone sur la base de la réception des Expendables, sans faire mine d’envisager que ces derniers films, basés sur une rétrospection un rien goguenarde et clignant de l’œil à une fanbase conséquente, n’ont pas été conçus dans le même état d’esprit que les films précédemment désignés comme emblématiques de l’humanisme de l’acteur, comme Rocky ou Rambo. Ce que ces citations confirment à coup sûr, c’est le manque d’exigence de celui qui les étale, défaut qui nuit cruellement à la prise au sérieux de l’intéressant portrait d’un homme et d’un parcours qu’on a trop souvent survolés avec mépris et qui pourraient être parmi les plus intrigants du cinéma américain récent.