Les idées reçues ont la vie dure. Tant mieux. Désormais, il faudra bien admettre que le cinéma de Sylvester Stallone est peut-être plus subtil qu’on a bien voulu le croire. Si l’idée de remettre le personnage de John Rambo sur les rails du film d’action peut prêter à rire (certains critiques ne se sont d’ailleurs pas gênés pour ricaner bêtement pendant le film), Stallone a le bon goût de ne pas prendre son sujet avec dérision mais, au contraire, d’approfondir le plus sérieusement possible le caractère torturé de ce personnage qui le rend bien.
Quelle fin de carrière que celle de Stallone ! Il y a un peu plus d’un an, alors qu’on n’attendait plus grand-chose de lui, il ramenait Rocky sur les devants de la scène avec l’inconcevable Rocky Balboa, succès à la fois critique et public. Aujourd’hui, il continue sur sa lancée et ressuscite Rambo, l’autre saga qui fit sa gloire, dans un film encore plus improbable, qu’il écrit, réalise et interprète également. La réussite de Rocky Balboa tenait dans le parallélisme qui l’a toujours lié à ce personnage qu’il a lui-même créé dans les années 1970. Rocky/Stallone y faisait part de ses regrets, de sa nostalgie, du poids des années… Stallone était sincère, nous étions émus par cette richissime star déchue qui s’apitoyait sur son propre sort. Bon. Mais Rambo ? Voilà un personnage beaucoup moins sympathique ! Le premier film réalisé par Ted Kotcheff en 1982 est une brillante adaptation du roman de David Morrell First Blood (1972) dans lequel les muscles cathartiques de Stallone bousculaient une Amérique en plein déni, préférant se voiler la face plutôt que d’assumer ses responsabilités et son échec dans la guerre du Viêt-Nam. Un excellent film dans lequel Stallone livre une de ses meilleurs prestations. Mais les choses se gâtent dès le deuxième épisode où Rambo devient le héros débile de l’Amérique reaganienne, tout juste bon à exterminer de la vermine soviétique à coup de flèches explosives ou de bazooka. Et on ne parle même pas du troisième opus (1988), sorte de remake atrophié du film précédent. Bref, la nécessité de revenir sur ce personnage ne semblait pas s’imposer. Ni à nous, ni même à Stallone qui, d’abord récalcitrant, consentit à faire ce quatrième volet si on lui permettait d’abord de s’occuper de Rocky.
Et pourtant, le besoin de retourner à Rambo est bien réel, à tel point que Stallone fait de cette réticence qui devient résignation puis acceptation, le propos de son film. Le parallélisme est une fois de plus opérant : Rambo vit une retraite pas si paisible dans le nord de la Thaïlande où il chasse des cobras pour des fermes à serpents, léger frisson en guise de réminiscence de sa vie passée. Cette routine tristounette se voit troublée un beau jour par une bande de missionnaires qui lui demande de les guider jusqu’à la frontière birmane non loin de là, où l’armée commet un véritable génocide parmi la population rurale. Rambo refuse d’abord, mais lorsque son discours nihiliste et désenchanté se heurte à celui d’une jeune femme idéaliste, fermement décidée à sauver les paysans birmans, il accepte. Qu’est-ce qui pousse Rambo à aller se compromettre dans l’enfer birman qui, à coup sûr, le replongera en pleine tuerie sanglante ? La même pulsion qui contraint Stallone à faire ce film : le fait que, quelque part, c’est inscrit en lui. L’un est une implacable machine à tuer, qui ne vit que pour et par la violence. L’autre est une éternelle star de films d’action, qui ne vit que par et pour l’exhibition de sa musculature. L’un comme l’autre ne peut en démordre. Sauf que cette fois-ci, ils décident tous deux de prendre les choses en main : Stallone réalise le film et Rambo forge lui-même son coutelas – rugueux, artisanal mais redoutablement efficace.
Par la simplicité absolue du scénario, il remet au goût du jour le film d’action bourrin. Car qu’en est-il de ce genre aujourd’hui ? Si on se base sur les deux exemples les plus récents, 300 de Zack Snyder et Apocalypto de Mel Gibson, on constate qu’il est moins question du spectacle de la violence que de se mettre en valeur grâce à elle. Tous deux, que ce soit par l’utilisation des technologies numériques ou le cadre cinématographiquement vierge de la civilisation maya, utilisent la minceur de l’argument du film pour faire la promotion de leurs propres mises en scène. Stallone, pas forcément moins narcissique, est cependant aux antipodes de cette mentalité de publicitaire. Seul son sujet l’intéresse, soit John Rambo et sa rage contenue avec pour unique enjeu de savoir quand cette dernière éclatera. Si bien qu’il semble prendre ce retour aux sources au mot : la violence, la brutalité, et la fascination malsaine qu’elles suscitent, deviennent la matière première du film, poussée ici dans ses retranchements les plus extrêmes. Les scènes de boucherie tant attendues, qui firent le succès des précédents Rambo, explosent dans une apothéose paroxysmique si outrée, qu’elles en deviennent presque abstraites (certains figurants malheureux sont littéralement pulvérisés sous les rafales de mitrailleuse). Stallone, c’est évident, n’est pas là pour flatter l’intelligence du spectateur (d’où les ricanements mesquins), il ne s’attache pas à un discours prédéterminé par le scénario (en ce sens, c’est un peu l’anti-Iñárritu) et entre le pessimisme de Rambo et l’humanisme de la jeune missionnaire, il ne tranche pas (étonnant, le long champ/contrechamp final entre les deux protagonistes). Sa modestie de cinéaste (il est un filmeur habile, mais sans génie) s’accommode parfaitement de la sobriété de son ambition et laisse le film parler de lui-même. Aujourd’hui, il n’y a rien de plus précieux.
P.S. : Lors d’une séquence de rêve composée de furtifs extraits des films précédents, Stallone insère la fin alternative du premier Rambo, celle où il est tué par le colonel Trautman, son père de substitution. Si cet élément ne suffit pas à prouver la qualité du film, il devrait néanmoins convaincre les sceptiques que John Rambo est bien plus profond qu’il n’y paraît.