Nous vous disions il y a quelques semaines tout le bien que nous pensions d’Itinéraires, le dernier film de Christophe Otzenberger. Un amour du métier, un regard poétique posé sur les êtres et les événements, voilà sûrement pourquoi le cinéma de Otzenberger paraît si humain, si entier.
Comment est né Itinéraires ?
D’un désir. Un désir de retrouver Yann et Céline, qui sont des amis. Le désir aussi de raconter une histoire de cavale. Un film ne se fait pas seul, c’est toute une équipe. C’est d’ailleurs ce qui me plaît. J’aime par exemple le travail avec le chef opérateur, avec lequel on a réglé les mouvements de caméra. Il y a très peu de plans fixes dans le film. Et puis le fait de réaliser un film avec un petit budget de un million d’euros, c’était un véritable challenge. Un million, c’est le salaire de Jean Dujardin ! Nous, avec ça, on a tout fait, de la première ligne de scénario aux deux premières copies du film.
Quel fut l’apport des acteurs dans l’élaboration du film ?
Yann et Céline ont participé à l’élaboration du scénario, ils ont apporté leurs idées. Pendant le tournage, ce n’était plus possible. Nous avons tourné pendant six semaines et demie et au niveau du budget, on ne pouvait pas dépasser le temps qui était prévu. Ce fut donc un gros travail en amont, beaucoup de préparation et de discussions. Cela nous a également permis d’avoir plus de poids au moment d’aller voir Patrick Sobelman, le producteur.
Le film aborde le thème de l’injustice, qui est poignant, mais vous évitez l’écueil du pathos. Comment avez-vous travaillé sur cet aspect ?
Je pense qu’on a évité le pathos parce qu’on ne traitait pas d’une erreur judiciaire, mais plutôt d’une injustice sociale. Si le personnage de Thierry est soupçonné, c’est parce qu’il a un casier judiciaire et qu’il vient d’un milieu modeste. Son destin est scellé. Il fuit parce qu’il sait que tout l’accable. Le juge d’instruction est un véritable con, il ne cherche pas très loin. C’est lui qui a le pouvoir, ce n’est pas le flic. Le flic est simplement là pour recueillir la déposition, mettre en garde à vue et déférer, comme on dit.
Vous avez aussi réalisé des documentaires. Que vous apporte la fiction ? Est-ce que ce sont deux plaisirs différents ?
C’est l’histoire qui dicte la forme. Je voulais mettre en scène une cavale, je ne pouvais pas me mettre en relation avec un poste de police pour qu’ils me préviennent qu’un suspect s’était échappé et que je puisse le poursuivre. Tout dépend des histoires que j’ai envie de raconter. Si j’avais dit que j’allais faire de La Conquête de Clichy une fiction, on m’aurait pris pour un fou. Et ce sont effectivement deux plaisirs très différents. Dans le documentaire, on vit ce qu’on filme, on emmagasine et le scénario se fait au montage. Dans la fiction, c’est plus construit, on sait ce qu’on a prévu de tourner. Mais dans les deux cas, les acteurs de fiction et les personnes réelles de documentaire sont les vecteurs de ma pensée.
Le film comporte de nombreux moments que nous pourrions appeler des inserts poétiques, des passages brefs, d’introspection, de poésie, par exemple au début, avec le gros plan de Thierry et de la colombe, puis tout au long du film, avec les travellings avant sur Thierry. Que signifient ces plans, pour vous ?
Ha, les travellings, j’ai saoulé tout le monde avec, mais ils sont importants. Ce sont des moments où on se recentre sur le personnage, où on contemple sa grande solitude.
Vous avez tourné Itinéraires dans le Nord. Pensez-vous que le film aurait été différent si vous aviez tourné à un autre endroit ?
Oui, c’est certain. Je me sens bien, dans le Nord. Et je voulais retrouver cette chaleur, je la voulais dans mon film. Par exemple, le personnage de Fontaine, le cafetier, accueille avec toute sa générosité le jeune homme qui arrive un jour chez lui. Il ne lui demande rien, il ne veut rien savoir, mais il le recueille volontiers.
Y a‑t-il eu une scène plus difficile à tourner que les autres, techniquement ou émotionnellement ?
Non, tout s’est bien déroulé, nous étions bien préparés. Il y a une scène que nous avons dû refaire plusieurs fois, parce que l’acteur n’était vraiment pas bon, mais je ne dirai pas son nom (rires). J’ai eu beaucoup de plaisir à tourner le film. J’adore par exemple la scène avec les cochons, quand Thierry les fait sortir de l’abattoir. Yann donne beaucoup de lui à ce moment-là. J’aime ces scènes où l’acteur donne tout, vous emporte.
Pensez-vous que le cinéma français actuel s’engage suffisamment sur certaines problématiques ?
Je n’ai pas de point de vue-concept à ce sujet. Je trouve qu’il y a une bonne diversité. Des films actuels comme Sauf le respect que je vous dois de Fabienne Godet ou La Petite Jérusalem de Karin Albou sont très réussis et posent des questions importantes. Je dis merci au cinéma français dans ces moments-là. À côté, vous avez Les Bronzés, mais je ne juge pas. Le cinéma français ne se résume pas à cela. Ce qui est dommage, c’est qu’Itinéraires, malgré les bons retours de la presse, ne va pas faire beaucoup d’entrées. C’est comme ça. Mais j’espère qu’on pourra continuer à faire ce genre de films en France.
Vous rencontrez ce soir votre public. Qu’en espérez-vous ?
Pour moi, c’est toujours du plaisir. Nous avons les réactions spontanées des gens et nous, nous sommes là pour parler de notre travail, du tournage, du travail avec l’équipe. Les spectateurs ne se rendent pas toujours compte de ce qu’est notre travail. Je suis heureux de ce partage.