Jaume Balagueró, réalisateur du film Fragile qui fut l’un des grands événements du XIIIe festival Fantastic’Arts, gagnant quatre prix sur six, a su en l’espace de trois films (La Secte sans nom, Darkness et Fragile), s’installer comme l’un des réalisateurs les plus connus et reconnus de son pays et du paysage du cinéma fantastique. Après avoir joué avec nos peurs les plus primaires comme l’obscurité et l’isolement, Jaume Balagueró revient pour nous conter une histoire de fantômes sur l’île de Wight, rendue célèbre par un autre réalisateur espagnol : Alejandro Amenábar.
Fragile est votre troisième long métrage après La Secte sans nom et Darkness et il semble que vous avez acquis une certaine maturité qui vous permet de réaliser un film plus intimiste que les précédents. Qu’en pensez-vous ?
Pour moi, c’est mon film le plus personnel. C’est une histoire qui parle des sentiments, des gens et de la difficulté de comprendre la mort des gens qu’on aime. Et ça, je crois que c’est une chose avec laquelle tout le monde peut se sentir connecté. C’est personnel pour chacun d’entre nous. Tout le monde peut avoir sa propre Maggie, un proche qui a disparu. Et j’ai voulu faire une histoire qui parle des émotions, des sentiments. Parfois il y a des gens qui disent : « Jaume Balagueró doit être quelqu’un de très sinistre, tu as vu le film qu’il fait ? » Là, c’est une façon d’être vraiment comme je suis. Je veux dire, tout le monde a beaucoup de façons d’être ; à la fois sentimental, romantique, mauvais, bon, etc. Fragile, c’est une autre façon, peut être plus intense, d’être moi.
Est-ce pour cela que vous avez voulu faire une fin plus optimiste, pourtant assez inattendue de votre part ?
Je crois que c’est surtout une fin avec de l’espoir, malgré la tristesse de la mort de la petite fille. En fait, l’idée était de faire un film qui finisse comme un conte de fée. Et toute l’histoire nous amène vers cette fin, optimiste un petit peu, pessimiste peut-être aussi.
Quel intérêt portez-vous aux contes de fées et leur rapport avec Fragile ?
C’est curieux mais quand on a commencé à écrire le script et développer le film, cet aspect n’était pas là. Ce n’est qu’une fois arrivé à la moitié de l’histoire qu’on a pensé à La Belle au bois dormant. On a alors décidé de changer toute la suite pour aller vers cette idée. À partir de là, tout ce qu’on a fait, on l’a fait en pensant à cette idée.
Pourquoi avoir justement choisi La Belle au bois dormant ?
Pour le baiser. Il y a quelqu’un qui est mort ou apparemment mort et qui revit après un baiser. C’était très intéressant pour l’histoire. Personnellement, j’aimais beaucoup l’idée de la petite fille qui donne un baiser à la femme. Il y avait quelque chose de polémique là-dedans. Quand les distributeurs américains ont fait les test screenings avec du public, beaucoup de gens étaient choqués par ce baiser, et c’est ce que je cherchais à faire.
Cherchez-vous à atteindre un public plus large avec Fragile qu’avec vos films précédents ?
Il y a deux choses : pourquoi je fais mes films et pourquoi les producteurs produisent mes films. Mes producteurs produisent mes films pour toucher le plus de gens possibles, le vendre à plus de distributeurs possibles. En fait quand on a commencé à faire Fragile, le film était déjà vendu à plusieurs distributeurs. Moi, je fais le film pour atteindre le plus de gens possibles, pour les terrifier mais aussi les émouvoir. C’est pour ça que je fais des histoires.
Est-ce pour cette raison que vous avez choisi Calista Flockhart pour le rôle principal, très connue grâce à la série télévisée Ally McBeal ?
En fait, Calista est très connue grâce à Ally McBeal, mais en tant qu’actrice comique. Mais avant Ally McBeal, c’était une actrice dramatique très reconnue au théâtre et dans quelques films après. Calista avait lu le script parce que quelqu’un qui travaillé avec nous aux États-Unis le lui avait donné. Et elle a beaucoup aimé. En fait, Calista était l’une des actrices à laquelle je pensais pour le rôle car elle a cette apparence fragile et en même temps, quand tu la connais, tu sais que c’est quelqu’un de très intense avec un caractère très fort. Il y a cette contradiction entre l’apparence et la force, et pour ça elle était parfaite pour le rôle.
Pourquoi, au même titre qu’Hideo Nakata, vous mettez plus souvent les femmes en avant que des hommes, avec des rôles principaux forts ?
La femme m’intéresse plus que l’homme pour un rôle principal, car je crois que la femme est plus complexe, profonde et compliquée que l’homme. Ce n’est peut-être pas consciemment que je préfère donner le rôle principal à une femme, mais quand je me mets à écrire, je pense à une femme. C’est plus mystérieux pour moi. Il y a un mystère dans la femme, peut-être parce que je suis un homme et que j’aime les femmes. Mais, je suis en train d’écrire un nouveau projet et le rôle principal sera tenu par un homme.
Comment faites-vous pour faire un film personnel en pensant à un personnage féminin ?
Je crois que ce qui est personnel dans les films n’est pas nécessairement les personnages mais ce qui leur arrive. Ce sont les grands thèmes du film qui sont personnels. Un film est personnel car il parle de la mort, de la vie, de l’amour, etc. Ces thèmes sont là au-delà du sexe. Mais peut-être que si je fais un film dont le rôle est tenu par un homme, il y aurait des choses plus personnelles mais de manière différente. Je crois que tout le monde à beaucoup de chose de lui-même à montrer dans les films.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce nouveau projet de film ?
C’est un film très spécial, tiré d’un roman très intéressant : La Dame numéro treize. Ce n’est pas vraiment un roman d’horreur mais c’est surnaturel. Ça parle des figures mythiques : les muses. Ces femmes qui inspirent les poètes. Et c’est sur l’idée que ces muses ne sont pas des mythes mais sont bien réelles, qu’elles sont au nombre de treize et elles ne sont pas bonnes. C’est une histoire passionnante et terrifiante avec beaucoup de référence aux poètes du monde entier. Je suis vraiment excité à l’idée de faire un film sur cette histoire.
Quelles ont été vos influences pour Fragile ?
Quand j’ai commencé à écrire le script, je pensais aux histoires de fantômes classiques. Je pensais à la tradition classique de fantôme, avec Henry James, et à un film comme Les Innocents. Après c’est le film qui te fait oublier toutes ces références, parce que c’est l’histoire qui doit être expliquée.
Qu’est-ce que vous pensez de ces nouveaux films d’horreur qui vont vers le gore, voire très gore ?
Je suis content de ça car j’aime beaucoup les films gore et les films extrêmes. J’aime beaucoup aussi les films classiques qui jouent sur la suggestion, les comédies, etc. Mais j’ai aussi envie de voir des films comme Hostel ou Reeker. En fait, c’est la différence et la variété que j’aime. Je pense que c’est une bonne chose.
Avec Fragile, nous avons l’impression que vous avez changé votre manière de mettre en scène la peur du noir ?
En fait, avec Fragile, on a essayé de montrer l’obscurité d’une façon différente basée sur le comportement de l’œil humain qui s’accoutume progressivement à l’obscurité. Dans toutes les séquences au deuxième étage, on a essayé de recréer cette obscurité comme perçue et non réelle.
Est-ce qu’il faut croire aux fantômes pour faire un film de fantômes ?
Je ne crois pas, car personnellement je ne crois pas aux fantômes. Je ne crois pas aux fantômes car je pense que je suis très réaliste. Mais je crois qu’il n’est pas nécessaire de croire aux fantômes pour faire un film de fantômes. Je pense qu’il est nécessaire de croire aux gens, de connaître les gens. Car en fait, l’explication des fantômes est liée aux gens. Je peux dire que les fantômes existent car il y a une explication rationnelle et scientifique. Parfois, quand quelqu’un meurt, les gens qui aiment, pendant les deux premières semaines qui précédent la mort, voient leurs fantômes car c’est une réaction de l’amour contre la douleur. C’est une projection mentale qui arrive à nous faire croire que l’on voit cette personne. Un médecin ou un psychiatre peuvent très bien expliquer ça. Ma grand-mère, avec laquelle j’ai vécu, a vu mon grand-père quand il est mort. Une nuit, elle était très nerveuse car elle l’avait vu. C’est parfaitement normal, c’est une réaction de l’amour pour lutter contre la douleur et c’est ça qui est à l’origine du mythe des fantômes.