Déjà remarqué lors de sa première française en sélection au Festival Entrevues de Belfort, John From sort au plein cœur du printemps. João Nicolau, longtemps collaborateur de João Cesar Monteiro, monteur pour Miguel Gomes ou Alessandro Comodin estime qu’il n’est rien de plus important que de filmer « un jeune cœur qui bat ». Il évoque avec nous le tournage de son second long métrage, film éminemment musical qui épouse le point de vue de Rita, quinze ans.
Le rapport à la musique est très fort dans votre film. Écrivez-vous en ayant déjà des morceaux en tête ?
Oui, la musique est présente dès la phase de l’écriture. J’avais déjà pensé à «La Lambada» pour la scène où les deux filles sont dans la chambre, parce que je n’ai jamais vu un film qui se termine par cette chanson. Je n’avais le droit qu’à quinze secondes. La musique originale a été composée avant le tournage et je l’ai en tête pour le mouvement des actrices. Depuis plusieurs années, j’écoute pas mal d’enregistrements ethnographiques. C’est de la musique du Pacifique qu’est venue, dans le scénario, l’histoire de la Mélanésie.
Comment avez-vous dirigé les deux jeunes filles ? On a l’impression que vous leur demandez en permanence de ne rien faire.
Elles ont toutes les deux accompli un énorme travail pour me donner ça. Sans être maniaque, je ne leur laisse pas de liberté dans leurs mouvements. Nous avons fait beaucoup de répétition, ce qui fait qu’au moment du tournage, elles étaient familières des mécaniques et des étapes que je dois passer pour trouver ce que je cherche. Pour elles, le temps que je propose est très étrange. Quand je filme, si je fais un gros plan, je mets la caméra très proche de l’acteur, ce qui lui demande beaucoup de courage. Même les techniciens sont plus concentrés. J’ai conscience que ce n’est pas un film qui s’adresse aux jeunes. Aussi, nous avons passé le pacte selon lequel cela ne les dérangeait pas de ne pas comprendre certaines choses. Le film commence dans une période de suspension, pendant les vacances. Pour moi, c’est important qu’au cinéma au moins on puisse avoir le temps de regarder les gens.
Le personnage de Filip éveille un fantasme très fort chez Rita alors qu’il est joué par un acteur au physique très banal, une sorte d’Adam Sandler portugais.
Effectivement, je l’ai choisi parce qu’il ne suscite rien de spécial. On peut le regarder sans projeter d’intention dans son physique et dans son jeu. C’était la première fois que je faisais des castings pour tous les rôles et sans employer des amis ou des proches comme acteurs. Je voulais rester sur le terrain de la bonhomie et enlever toute signification, être dans l’archétype. Le personnage parle de moins en moins. La structure de ses phrases change, devient plus courte, plus dure. Il était capable d’échanger un regard ou une plume de casoar sans jouer aucune intention, et c’est exactement ce que je recherchais. Cela me fait plaisir que vous ne m’ayez pas encore parlé de la différence d’âge entre lui et Rita car pour moi, cela n’est pas un sujet, le film propose un autre territoire.
Rita utilise le mode « shuffle » de son iPod comme un oracle. On a l’impression qu’un principe d’aléatoire est à l’origine de la succession de certains plans qui se répètent.
J’ai pensé à La Terre de la folie, ce film dans lequel Luc Moullet convoque le même plan chaque fois qu’il rend visite à un berger. J’aimais l’effet créé par cette répétition. Dans l’ascenseur, il y a peu de possibilités de plans, et j’aime bien que la répétition qui crée quelque chose d’important : c’est partager les règles du film avec le spectateur. C’est une façon économique d’amener le spectateur dans le monde du film. C’est une forme de respect. C’est comme un pacte qu’il faut que le spectateur accepte.
Le montage final est-il proche du scénario initial?
Il y a avait un peu plus de Mélanésie dans la structure originale du scénario, j’en ai coupé un peu avant le tournage. J’avais aussi une séquence avec un groupe qui faisait du parkour sur des immeubles, mais je ne l’ai pas tournée non plus. Mais sinon, je suis resté très fidèle à ce que j’avais écrit avec Mariana Ricardo.
Vous avez fait appel à Alessandro Comodin pour monter John From. Comment a eu lieu votre rencontre ?
Nous nous sommes rencontrés à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Je présentais mon deuxième court métrage, et lui Jagdfieber. On a beaucoup aimé le film l’un de l’autre. On est resté en contact. J’ai tout de même été surpris qu’il m’appelle pour monter L’Été de Giacomo. Mon monteur était occupé sur Les Mille et Une Nuits, donc j’ai appelé Alessandro. En tant que cinéastes, nous n’avons pas du tout les mêmes méthodes de travail. C’est la première fois qu’il a dû choisir des prises, car je tourne classiquement. Tout comme il était inhabituel pour moi, sur son dernier film Happy Times Will Come Soon, de visionner vingt-trois heures utilisables de rushes.
Le teen-movie américain a-t-il été une référence pour John From ? Avez-vous réfléchi à ses codes ?
J’ai une mémoire du teenage movie. C’est une de mes faiblesses du samedi soir de regarder ce genre de film. J’ai joué avec cette mémoire, mais sans me replonger dedans. En revanche, l’irruption du fantastique m’a donné beaucoup plus de travail. Voir des films n’est pas quelque chose de vital pour moi. Je ne dirais pas que je suis cinéphile. J’ai même arrêté complètement pendant un temps d’en voir. Après avoir passé toute la journée en salle de montage, j’ai envie d’écouter de la musique, de voir des amis, mais pas d’aller au cinéma. Parce qu’il y a la vie aussi.