À l’occasion de l’édition DVD de ses deux premiers films, Oublie-moi (1994) et La vie ne me fait pas peur (1998), dans la collection « Deux films de…» des Cahiers du Cinéma, Noémie Lvovsky nous éclaire sur son métier de réalisatrice et sur sa manière d’appréhender le travail d’acteur.
Aujourd’hui ressortent en DVD Oublie-moi et La vie ne me fait pas peur, vos deux premiers long-métrages en tant que réalisatrice. Plus de dix ans après avoir travaillé dessus, quel regard portez-vous sur eux ?
Je suis frappée de voir à quel point les films ressemblent aux quelques années de la vie pendant lesquelles on les a écrits, tournés, montés. Je redécouvre, à chaque fois étonnée, comme les films sont un scanner du cerveau de leur réalisateur, d’une période précise de sa vie, en même temps qu’ils ressemblent à tous ceux qui participent à leur fabrication.
Fait assez rare, vous vous êtes ensuite imposée aux yeux du grand public en tant qu’actrice dans de nombreux films. Qu’est-ce qui vous a poussée à passer devant la caméra et comment choisissez-vous les rôles et les réalisateurs avec qui vous travaillez ?
Quand j’étais enfant, et jusqu’à l’adolescence, je rêvais d’être actrice, c’était pour moi le plus beau métier du monde : raconter ses sentiments avec les mots des autres, sa personne à travers un personnage. À seize ans, j’ai fait une croix dessus, j’ai eu trop peur de vivre dans la dépendance. Ça s’est fait tranquillement, sans amertume. Ce qui comptait était de participer aux films d’une manière ou d’une autre. Alors j’ai fait du casting pour Arnaud Desplechin, j’ai participé à des scénarios pour Arnaud, Philippe Garrel, Valeria Bruni-Tedeschi, Xavier Beauvois… J’ai été une très mauvaise scripte… Puis j’ai réalisé mes propres films. Je faisais plusieurs métiers mais pas actrice. Et un jour, Yvan Attal, que je connaissais depuis longtemps, depuis notre jeunesse, nos débuts, m’a appelée en me disant : « Je vais faire mon premier film, je voudrais que tu joues dedans. » J’allais beaucoup au théâtre, au cinéma, j’avais fait du casting, j’avais donc des tas d’actrices merveilleuses à lui proposer. Mais il a insisté. Alors j’ai joué dans son film en pensant que ce serait la première et la dernière fois que je jouerais la comédie. J’ai eu un trac fou, je me suis beaucoup amusée, j’ai adoré ça.
Puis on m’a à nouveau proposé de jouer. Souvent des amis. Et progressivement des metteurs en scène que je ne connaissais pas ont commencé à m’appeler. Ils me voyaient actrice, pas moi, mais j’ai accepté avec bonheur.
Comment je choisis un rôle ? Je choisis davantage un auteur, un film qu’un rôle. C’est pour ça qu’il m’arrive parfois de participer à un film juste pour une scène.
Votre complicité avec les acteurs semble une condition sine qua non sur vos tournages. Vous semblez par exemple avoir une relation très proche avec Valeria Bruni-Tedeschi, de vos courts-métrages jusqu’à votre dernier film, Faut que ça danse. Comment s’est passée cette rencontre ?
Oui, j’aime les acteurs, j’aime travailler avec eux. Quand j’ai envie d’un acteur, je suis prête dans un premier temps à oublier l’idée que je me faisais du personnage à l’écriture pour laisser toute la place à l’acteur. Au bout du compte le personnage que l’on voit à l’écran est un parfait mélange du metteur en scène, du personnage écrit et de l’acteur.
J’ai rencontré Valeria après l’avoir vue dans un film de Jacques Doillon, L’Amoureuse. C‘était il y a plus de vingt ans et Doillon réalisait un film avec les élèves de Patrice Chéreau à l’école des Amandiers. J’ai eu une espèce de coup de foudre pour Valeria. J’allais faire mon premier court-métrage, je l’ai appelée, on s’est rencontrées dans un café, et on s’est tout de suite plu, tout de suite bien entendues. On se comprenait. Depuis, on a fait un bout de chemin ensemble. On a grandi, on s’est formées ensemble.
Comment a‑t-elle pu nourrir votre premier long-métrage, Oublie-moi, qui se pose très clairement en portrait intimiste d’une femme borderline ?
Par son corps, son esprit, ses pensées, sa voix, son travail, sa vie. Sans que rien ne soit improvisé. Le scénario, les dialogues, étaient très écrits, même si on cherchait à ce que chaque moment ressemble à un moment d’improvisation. Comme je vous le disais plus haut, la Nathalie d’Oublie-moi est un mélange de Valeria et moi à cette période-là.
Mais ça n’a rien à voir avec l’autobiographie : je me souviens de Sabine Azéma en post-synchro de Faut que ça danse. Elle jouait un personnage apparemment très loin d’elle et de moi-même. Elle s’est vue à l’écran et elle m’a dit : « Regarde, regarde, c’est toi ! » Certains acteurs se racontent secrètement qu’ils jouent le metteur en scène. Je crois qu’ils n’ont pas tort.
Vous n’aviez que 30 ans lorsque Oublie-moi, très marqué par le Paris des années 1990, est sorti sur les écrans. Votre film suivant, La vie ne me fait pas peur, était très lié à la culture des années 1970, celle de votre adolescence. Est-ce une priorité de lier votre travail à une dimension temporelle quasiment autobiographique ?
Peut-être. Sans doute. Jusqu’à maintenant. Mais ça n’est pas une priorité. Ça vient comme ça. C’est vrai que je pense beaucoup au temps, aux époques, aux âges surtout.
Le film suivant, La vie ne me fait pas peur, était d’abord un projet de télévision pour Arte. Quelques années plus tôt, André Téchiné avait vécu la même expérience sur le téléfilm Le Chêne et le roseau devenu au cinéma Les Roseaux sauvages. Il avait vanté la grande liberté que lui avait laissée ce mode de production. Quel fut votre sentiment ? Seriez-vous prête à retravailler pour la télévision ?
Après Oublie-moi, j’ai rencontré Pierre Chevalier. Un homme merveilleux et un très grand producteur. Il a une vision, une finesse, un élan, une énergie, une souplesse qui donnent des ailes, et une très grande liberté malgré les petits budgets d’Arte. Nous avons fait ensemble Petites. C’est à la fois un téléfilm autonome pour Arte, et une partie d’un film pour le cinéma : La vie ne me fait pas peur. Petites se déroule sur une année scolaire, La vie ne me fait pas peur sur les années d’adolescence et l’entrée dans la vie d’adulte d’un groupe de quatre amies.
Après beaucoup de péripéties de production, et un an d’attente après le tournage de Petites, Bruno Pesery a pu réunir les financements qui nous ont permis de tourner La vie ne me fait pas peur. Les jeunes actrices avaient grandi, elles étaient passées de la préadolescence à l’adolescence, leur transformation m’émerveillait. Leur mutation ne pouvait pas mieux raconter le passage d’un âge à l’autre, le temps qui passe… Nous avons intégré au montage des scènes de Petites à La vie ne me fait pas peur. Finalement, ces difficultés de production, cette année entre les deux tournages ont été une grande chance pour ce film.
Pour répondre à votre dernière question : oui, je serais prête à retravailler pour la télévision. Télévision ou cinéma, peu m’importe, cela dépend des partenaires, de leur talent, de la qualité de leur accompagnement, de la liberté qu’ils nous laissent…
Dans ces deux films, vous n’hésitez pas à capter les excès physiques (en amour, en amitié) de vos actrices. Comment composez-vous avec le corps de vos personnages féminins pour livrer des films empreints d’une telle rage de vie ?
J’aime faire connaissance avec les acteurs, passer du temps avec eux longtemps avant le tournage, boire des cafés, traîner, discuter de tout et de rien. Puis dans un deuxième temps, j’aime faire des lectures et répéter, penser, rêver ensemble au film à venir. Enfin, quand le tournage arrive et que les acteurs sont imprégnés des dialogues, de certains mouvements, des liens et des sentiments en jeu, je leur demande d’oublier les répétitions. Là, on ne cherche plus que le rythme et l’énergie des scènes. À côté de la caméra, je suis souvent moi-même dans la même énergie que celle que je demande aux acteurs, peut-être que ça les aide, que ça les porte. Je me souviens que lorsque les toutes jeunes actrices de Petites et La vie ne me fait pas peur avaient trop le trac devant la difficulté ou la violence de certaines scènes, je leur disais que je serai très exigeante, que j’essaierai de les amener à leur maximum sans rien lâcher mais que je ne leur demanderai rien que je ne sois prête à faire moi-même.
Vous mettez vos personnages dans des situations parfois pathétiques mais le regard de la caméra se fait toujours tendre, généreux et complice : peut-on dire que c’est là la marque de votre cinéma ?
Je suis la dernière personne à pouvoir dire quelle est la marque de mon cinéma. Je sais seulement que je ne pourrais pas raconter, regarder, filmer un acteur, un personnage, pour lequel je n’aurais pas d’amour, de tendresse, de compréhension.
Ces deux premiers films ont une tonalité bien spécifique dans le paysage du cinéma français. Quelles ont été les influences cinématographiques qui vous ont poussée à construire cet univers ?
Les films de mon enfance étaient les comédies musicales avec Fred Astaire et Ginger Rogers, les films des Marx Brothers, de Chaplin, Buster Keaton. Puis à l’adolescence il y a eu la découverte de Truffaut, Pialat, Renoir, Rosselini, Lubitsch, Coppola…
Votre dernier long-métrage en tant que réalisatrice date de 2008. Avez-vous de nouveaux projets de réalisation ?
Oui, mais je vous en parlerai plus tard…