Dans Camille redouble, le personnage de Camille remontait le temps, retrouvait sa mère disparue, se préparait à la perdre une seconde fois. Filmer le deuil, montrer comment l’on accepte la disparition d’un être, tel est aussi l’enjeu du film de Demain et tous les autres jours : Mathilde, une fillette de neuf ans, y affronte seule la maladie de sa mère (jouée par la réalisatrice elle-même) atteinte d’une sorte d’Alzheimer, devenant de plus en plus absente à elle-même. Jamais le propos de Noémie Lvovsky n’y aura été plus autobiographique : son film se termine par une dédicace à sa propre maman. Mais en filmant ce sujet éminemment personnel, la cinéaste semble manquer justement de distance, se noyant parfois dans les détails d’un récit à la fois intimiste et merveilleux.
Pudeur tragique
Dans d’autres films de Noémie Lvovsky tels que La vie ne me fait pas peur, la fantaisie des personnages leur permettait de se délivrer du réel et de vivre plus librement leurs désirs. Demain et tous les autres jours inverse ce schéma : ici l’humour absurde et loufoque est toujours l’envers poignant d’une réalité tragique. La plupart des actes de la mère de Mathilde s’accompagnent ainsi d’une ironie cruelle : tout en étant drôles et burlesques, ils dévoilent la progression de la maladie. La cinquantenaire oublie par exemple pourquoi elle est à un rendez-vous scolaire devant sa fille amusée, ou encore quitte une galerie commerciale en robe de mariée. Mais la cinéaste a en même temps recours au réalisme pour suivre le quotidien de l’enfant délaissée. On regrette alors un peu le caractère répétitif de ces très nombreuses séquences d’attente de la fillette, restée seule dans la nuit, le regard fixé sur l’heure. Malgré tout, Noémie Lvovsky parvient alors à raconter avec pudeur le drame familial. À travers une certaine retenue de la mise en scène, ce sont avant tout les gestes les plus simples qui révèlent la détresse de ce personnage privé d’enfance. Mathilde déploie ainsi une énergie désespérée pour donner au foyer une apparence de normalité, vaquant à toutes les tâches ménagères comme une adulte. Et c’est encore par un geste qu’elle révélera sa colère et son désespoir : livrée à elle-même le soir du réveillon de Noël, elle met le feu aux rideaux du salon, mettant ainsi en danger sa propre vie.
Le problème du hibou
Comme sa mère, Mathilde a donc tendance à refuser le réel, elle qui fait tout pour cacher aux autres la maladie de celle-ci. Cette fuite de la réalité s’incarne à travers un personnage d’ami imaginaire : un tout petit hibou que la fillette a reçu en cadeau, parlant soudainement avec la voix douce de Mischa Lescot. Ainsi Noémie Lvovsky fait le choix du merveilleux pour faire exister le point de vue de l’enfant et sa solitude. Cet oiseau est un vrai personnage de conte, une voix de la conscience enfantine comme le Jiminy Cricket de Pinocchio. Mais ce procédé s’essouffle terriblement au fil du récit. La mise en scène semble hélas subir la fascination du joli rapace, multipliant trop fréquemment les contrechamps sur l’animal. Il devient un témoin éberlué de chaque scène, surlignant inutilement les émotions du spectateur. La fin du film s’enfonce aussi dans un symbolisme très lourd, où l’animal vole librement dans la forêt, tandis que Mathilde enfin grande et sereine va rendre visite à sa mère.
Éloge de l’imaginaire
Malgré tout, on reconnaît ici la noble envie de faire de l’imaginaire le passionnant miroir des angoisses et des désirs de l’enfant comme dans Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro. Ainsi la très longue séquence d’enterrement d’un squelette de cours de SVT, où la petite fille s’imagine qu’il a été vraiment privé de sépulture, révèle en fait les sentiments complexes de la fillette : la peur terrible de laisser sa mère livrée à elle-même, mais aussi le besoin de l’« enterrer » pour vivre enfin son enfance. Mathilde aura aussi besoin du conte pour exprimer à sa mère son mal-être et son sentiment d’impuissance : elle lui racontera l’histoire d’une jeune fille séparée de sa maman et enfermée par une sorcière tout au fond d’un lac. Si l’on peut regretter les effets numériques très artificiels de cette séquence (notamment un sfumato particulièrement mal fait), ceux-ci semblent justement appuyer le caractère fictif de ce récit d’enfant. Le film s’avère finalement une belle mise en abyme des pouvoirs de la fiction, elle qui permet au personnage, mais aussi à la cinéaste, d’exprimer ce qu’ils n’arrivent pas à dire autrement.