Avec une fréquentation grandissante chaque année, le festival des Hallucinations Collectives continue à se développer au fil du temps avec une programmation toujours aussi cohérente. Qu’il est loin le temps où, pour sa toute première édition en 2008, l’Étrange Festival proposait sur quatre demi-journées un nombre restreint de séances et une unique compétition de courts métrages. S’y affichait déjà une ambition importante avec les présences de Tomas Alfredson et Pascal Laugier, venus respectivement projeter Morse et Martyrs. Pour les organisateurs de l’association Zone Bis, il s’agissait alors de montrer qu’un type de cinéma en marge pouvait bénéficier d’une reconnaissance officielle et que ses artisans méritaient un créneau pour s’exprimer à propos de leurs œuvres. Dix ans plus tard, on retrouve toujours quelques personnalités : Mr Garcin par exemple, venu dédicacer son livre The Art of Mr Garcin, recueil de collages autour de l’univers de Marvel, ainsi que Fabrice du Welz, récipiendaire du dernier Grand Prix des Hallus pour son très discutable Message from the King. On pouvait craindre que le festival soit à bout de souffle et recycle ses vieilles recettes. Que l’on ne s’y trompe pourtant pas, la programmation de cette année est à l’image des précédentes : audacieuse, curieuse et surprenante.
Réminiscences et nouveautés
Les sept jours sur lesquels s’étendent le festival actuellement ne sont pas de trop pour accueillir la quantité de films proposés, le tout dans une seule salle et dans un seul cinéma (le Comoedia à Lyon). La thématique principale de cette année tourne autour de la sorcière, figure essentielle du folklore européen et mythe cinématographique à part entière. Sa belle représentation dans le cinéma de genre est mise en valeur ici par un choix de programmation prônant la variété. Revoir aujourd’hui Lords of Salem de Rob Zombie ou Season of the Witch de George A. Romero dans une même rétrospective rappelle l’importance de ces deux films célébrant l’iconographie féminine, que ce soit par le biais d’une esthétique clinquante et d’un voyeurisme exacerbé chez Zombie ou par la description acerbe et contestataire d’un couple qui se délite chez Romero.
Dans ce festival conscient que l’actualité est tout aussi importante que le cinéma de patrimoine, la compétition officielle oppose huit films, tous des avant-premières françaises. Si certains candidats sont très largement en dessous des autres (Radius, foutoir fantastique parodiant les canevas scénaristiques de La Quatrième Dimension sans y apposer le moindre discours), il faut noter que le gagnant de cette année, Mutafukaz, est un film d’animation japonais. Une preuve supplémentaire du mélange des genres voulu par le festival, acceptant images animées et prises de vues réelles au sein d’une même compétition. Celui-ci aura ainsi su convaincre à la fois le jury mais avant tout le public lors d’un vote organisé à l’issue de chaque séance de la compétition.
L’une des belles découvertes du festival est sans conteste Une prière avant l’aube (sortie prévue le 20 juin 2018), biopic passionné et habité de Billy Moore, jeune toxicomane anglais incarcéré dans une prison thaïlandaise au début des années 2000. Dix ans après Johnny Mad Dog, Jean-Stéphane Sauvaire propose un nouveau film coup-de-poing, cherchant à retranscrire instantanément un quotidien sombre dans ses pires excès. Cependant, en se délestant rapidement de son influence principale, à savoir Midnight Express et sa descente aux enfers mentale et physique d’un Occidental dans un pays dont il ne maîtrise pas la langue, le film se veut lumineux et céleste, en laissant le personnage principal regagner de la dignité via la pratique de la boxe thaï avec ses co-détenus. Malgré quelques écueils (les clichés du film de prison, allant du viol à la mise au trou), le film reste suffisamment dense et pertinent pour toujours se recentrer vers son sujet.
Reflets en tout genre
Le festival entend proposer de découvrir en salles des films précieux et rares, qu’ils ne soient jamais passés par le circuit classique de diffusion ou qu’ils bénéficient d’une aura culte télévisuelle. Il va sans dire que revoir Goto l’île d’amour, premier film en prises de vues réelles de Walerian Borowczyk sur grand écran est un plaisir cinéphile qui ne se refuse pas. De même, la carte blanche accordée à Fabrice du Welz nous a permis de revoir L’Inconnu de Tod Browning, sublime mélodrame mettant en scène son acteur fétiche, Lon Chaney. Le festival étant cependant vu comme un territoire de découverte, c’est bien une curiosité qui aura retenu notre attention cette année, Spider de Vassili Mass. En Lettonie, au début des années 1990, une jeune femme se voit proposer d’incarner la Vierge Marie pour un peintre torturé dans une représentation de l’Annonciation. Découvrant son corps et sa sexualité, prise entre excitation et effroi face au peintre qui la désire, elle va plonger dans une rêverie où la réalité va peu à peu se déliter. Ses songes érotiques avec des araignées géantes sont le point de départ d’une « coming-of age story », qui verra la jeune femme grandir et appréhender son corps sans peur et avec fierté. Le kitsch assumé du film (scènes d’amours zoophiles improbables, emploi de lumières artificielles enrobant l’image d’un voile laiteux) tourne rapidement à la parodie métaphorique, désamorçant les possibilités de nanardise pour tirer le film vers le haut. Ses fulgurances visuelles invoquant l’imagerie de Bosch sont sans nul doute parmi les plus belles que l’on aura vues cette année au festival.