Notre petit plaisir coupable de la semaine où, après s’être rencontrés dans Before Sunrise, retrouvés dans Before Sunset, Jesse (Ethan Hawke) et Céline (Julie Delpy) sont enfin, dix ans plus tard, bel et bien en couple, heureux parents de deux jumelles. Leurs vacances en Grèce sont un nouveau prétexte à un film déambulatoire, où se joue une fois de plus un réel plaisir de la conversation, du badinage et de la dispute. Ce nouvel épisode se présente sous l’égide du temps qui nous échappe. Jesse écrit un nouveau roman qui traite de personnages possédant des troubles en relation avec cette thématique: l’une possède une impression constante de déjà-vu, un autre se souvient de toutes les personnes qu’il a croisé dans sa vie, un dernier faire preuve d’une conscience aiguë de la finitude des choses. Le film sonne alors comme le glas de la trilogie, comme s’il devait refermer une bonne fois pour toute ce livre ouvert il y a maintenant dix-huit ans avec Before Sunrise.
Une séquence de repas avec d’autres couples (de mémoire la seule scène de la trilogie où Jesse et Céline discutent véritablement avec d’autres gens) vient désagréablement confirmer cette impression, où chaque duo représente un échantillon de l’union : le jeune couple, le couple de quadra sans enfants, la veuve, etc. Mais le film balaye cette introduction vaseuse et reprend son cheval de bataille, où les deux personnages se questionnent, avec la marche comme amorce de la parole et sur la durée, à propos de grands sujets, la vie, la mort, l’amour, leurs idéaux…et ce qui nous questionne, ce n’est pas tant ce qu’ils se disent où la façon dont ils se lancent parfois des invectives, système roublard d’identification exploité depuis le premier épisode, que la manière dont un système de pensée, de détours se construit à deux, au gré des rebonds de la conversation. Les échanges de points de vue y sont prétextes à des contradictions et de la mauvaise foi, et le récit pose une à une des briques qui permettent de saisir l’essence même de ce couple, de ce qu’ils ont vécu depuis dix ans, sans pourtant former un condensé qui ressemblerait à un abrutissant pudding.
L’écriture pointilliste des dialogues, toujours très enlevée, forme donc en creux un portrait des personnages, que chaque film de la trilogie vient remettre en jeu. Il est, à ce titre, étonnant de voir à quel point les trois épisodes sont égaux, portés avec la même économie de moyen, sans volonté mercantile d’en faire plus au suivant, mais simplement de réunir les forces en présence pour continuer ce bout de chemin. La nouvelle perspective élaborée par cet épisode constitue, en fait et presque à son insu, un formidable document sur un couple d’acteurs qui aura vieillit sous nos yeux, à l’écran, à vitesse réelle, à intervalles réguliers. Les trois films sont alors comme cette lettre que le personnage de Jesse s’était adressé à lui-même lorsqu’il aurait 40 ans : ouvrant à la fois une perspective sur le passé et une autre sur le futur. Et c’est dans cet entre-deux, marqué par une jouissance du présent narratif, que s’élabore cette intelligente comédie humaine, plus profonde que la bluette pour laquelle on aimerait la faire passer. Ce n’est donc plus un péché mignon ou un plaisir coupable, c’est du plaisir tout court.