Présenté comme un « zombie-horror-mystery-thriller-drama » dans le catalogue du festival, Upstream Color avait de quoi susciter la curiosité, même si la peur d’une œuvre indigeste pouvait faire office de repoussoir. Mais des films bien trop digestes, nous en avons eu assez : il nous faut maintenant de l’audace ! Avec le long-métrage produit, réalisé, monté et interprété par Shane Carruth, on sera servis. Cependant, amateurs de films de zombies, passez votre chemin, il n’y en a point à l’horizon !
Il est difficile, voire presque vain de tenter de résumer cette belle tentative, tant ce serait figer une matière narrative qui constamment se réinvente, mais pour toi, lecteur, nous allons faire un effort. Disons, pour faire succinct, que c’est l’histoire d’une rencontre entre un homme et une femme, qui ont vécu quelques traumas par le passé, et qui tentent, ensemble, de se reconstruire. Bon, il y a aussi un homme qui élève tout un cheptel de cochons et qui semble connecté à nos deux tourtereaux mais – stop – ce serait déjà trop en dire. Car Upstream Color ne se targue pas d’imposer une lecture, et même résumée ainsi, la matière même du film reste inaccessible. En gros, il faut le voir pour le croire.
Shane Carruth procède d’une écriture filmique cousine de Terrence Malick, dans le sens où il ne pose pas clairement chaque séquence, et opère par circulation à travers le temps. Le montage fonctionne par analogies, avec des événements qui parfois se répètent et se répondent, et prennent ainsi une teinte différente, tout en faisant avancer le récit par sauts de puce. Mais Upstream Color, même s’il fait appel à une imagerie de la nature, ne se nourrit pas, en revanche, du panthéisme malickien, et lui préfère une approche organique, biologique, presque scientifique de la faune et de la flore. Il n’est pourtant pas exempt d’un certain symbolisme (surtout dans sa première demi-heure), mais qui laisse le sens toujours ouvert, et se teinte d’expérimentations sonores, notamment à travers la musique du film, omniprésente, et composée par le réalisateur lui-même.
La présence du cinéaste dans toutes les étapes de création du film n’en fait pas pour autant une œuvre tyrannique ; le rôle féminin, centre névralgique d’Upstream Color, est confié à Amy Seimetz, elle-même réalisatrice, qui apporte à la fois une fragilité et une force d’inertie qui donnent une pointe d’inquiétude traversant tout le film. Cette inquiétude est salvatrice car elle est l’antidote parfaite à la démonstration de puissance cinématographique épuisante qu’aurait pu être Upstream Color. Et en fait ainsi une ode à la reconstruction de soi, qui dégage un flux émotionnel, une pulsation pleine d’égarements et de doutes, qui servent de boussole au spectateur qui voudra bien s’y laisser guider.