L’histoire de Coralie, alias Brooklyn, n’a a priori rien de bien original : apprentie rappeuse, la jeune fille débarque de sa Suisse natale à Saint-Denis, dans le 93, dans le secret espoir de percer dans la musique. Comme dans tout bon récit d’apprentissage passé à la moulinette des cultures urbaines, le réalisateur Pascal Tessaud passe en revue tous les motifs du genre : une jeune femme au talent hors du commun va devoir naviguer entre amours déçues et amitiés trahies tout en essayant de faire valoir sa singularité dans un environnement difficile. Fort heureusement, Brooklyn vaut bien plus que ce que son pitch, un peu léger, ne laisse présager. Porté par une jeune comédienne aussi attachante que son pseudo est improbable (KT Gorique), véritable petit bloc de volonté sèche et de fragilité enfantine, le film ne se laisse jamais aller au mélo à thèse sur le mal-être féminin dans les banlieues, ni ne cherche à verser dans le docu-fiction sur les dérapages et les limites du rap français – Booba est juste raillé au détour d’une réplique bien sentie, vite fait bien fait. Pascal Tessaud ne cherche pas pour autant à éviter ces sujets, traités ici comme de nombreux autres, inhérents au genre en soi qu’est devenu le « film de banlieue » aujourd’hui. Mais ce que cherche le cinéaste à travers le parcours de sa jeune héroïne, c’est une autre façon de raconter une histoire vue et revue cent fois.
La gamine au micro
Loin de l’esthétique urbaine sans cesse représentée et caricaturée dans les fictions françaises filmées de l’autre côté du périph’, loin des joutes verbales réduites à des grimaces grotesques et une agressivité systématique dès lors que l’on tente de représenter à l’écran le langage (parlé et gestuel) du hip hop, Brooklyn détonne par sa sérénité et sa douceur (même dans les scènes les plus tendues du film), son flow aussi vif et agile que celui de son héroïne, et sa capacité à représenter des environnements et ceux qui les habitent avec fraîcheur et immédiateté. On voit déjà poindre les arguments des mauvais coucheurs : voilà un film étourdissant de naïveté et qui aura l’air daté dans moins de six mois. Oui, peut-être, pourquoi pas, et alors ? On s’en fout. Les mots claquent, les langues se délient pour raconter le quotidien le plus banal, entre rage adolescente et groove de kékés : dans ces instants suspendus, Brooklyn fonctionne à pleins tubes, tout comme dans tous ces moments aériens qui évoquent la relation entre Coralie et sa logeuse. C’est précisément quand le réalisateur se veut plus social, plus démonstratif dans son évocation du réel qu’il convainc le moins (voir la scène entre la boss de Coralie et le responsable du studio d’enregistrement) : non pas parce que ce qui y est montré n’est pas crédible, mais plutôt parce que le film s’alourdit tout à coup et s’égare dans une volonté de témoignage didactique qui n’apporte rien de plus au propos. On préfère Brooklyn (le film et le personnage) en apesanteur, lancée à toute berzingue sur un vélo dans les rues de Paris la nuit, ou déversant dans un micro ses interrogations et ses frustrations.