Le festival l’Arche de Corée présentait ce week-end à Strasbourg quelques chefs de file du cinéma coréen actuel ainsi qu’une sélection de films inédits qui nous a permis de découvrir un grand frère à Hong Sangsoo et un petit bijou de 1988 : Gagman de Yi Myung-se.
Cette 4ème édition de l’Arche de Corée, organisé du 19 au 23 novembre par l’ACEFA (Association d’échanges culturels France-Asie) et le cinéma Star à Strasbourg, avait pour thème la figure du marginal. Au programme et en avant première, les 2 films coréens présentés à Cannes cette année, The Chaser et Le Bon, la brute et le cinglé, qui sortiront dans les semaines à venir en sortie nationale, la reprise des deux derniers Hong Sangsoo : le délicat et désenchanté Woman on the Beach et le parisien Night and Day ; et enfin une sélection éclectique de 6 films du répertoire coréen inédits en France et tournés entre 1982 et 1995.
C’est parmi ces derniers que nous avons découvert Va toute seule comme la corne du rhinocéros, réalisé par Oh Byung-chul en 1995, et qui trouve sa place dans l’arbre généalogique du cinéma de Hong Sangsoo. Mais contrairement à Hong, Oh Byung-chul se place du point de vue féminin pour explorer les ravages de l’instabilité amoureuse masculine. Il met en scène trois amies trentenaires, empêtrées dans des divorces ou des relations compliquées, qui tentent de résoudre l’équation entre amour et ambitions personnelles dans un monde en mutation mais encore profondément imprégné d’une culture machiste. Malgré une petite tendance démonstrative et une musique pompeuse peu adaptée, le film dresse – comme chez Hong Sangsoo – un portrait touchant de ces générations formées dans les universités de la Corée moderne, de leurs névroses qu’elles noient dans l’alcool et de leurs aspirations difficiles à assumer.
Également au programme, un des cent films du « maître » Im Kwon-taek, Les Corrompus, sorti en 1982 en Corée et présenté dans la sélection « Panorama » du festival de Berlin en 1983. La première heure pose avec une certaine virtuosité un sujet prometteur (un jeune orphelin accepte d’épouser la fille handicapée de son patron pour assurer sa réussite sociale, en laissant derrière lui sa fiancée de cœur), avant que le film ne s’effondre sur lui-même, sans que rien ne puisse être sauvé du naufrage. Le surtravail systématique des images devient un tic maniériste et non une façon de sublimer l’histoire, le scénario est articulé de manière grossière – les comportements des personnages n’expliquant pas ses tournants –, et le tout se finit dans un happy-end que ne renierait pas le plus mièvre des films hollywoodiens. À l’arrivée, une grosse déception qui contraste fortement avec notre coup de cœur du festival, Gagman de Yi Myung-se (1988), petite perle de cinéma poétique.
Ce film au burlesque tendre met en scène trois paumés (un fan de Charlie Chaplin qui porte sa moustache et imite ses expressions, un coiffeur idiot admirateur de Jack Nicholson et une jolie fille sortie de nulle part), qui, liés par l’amour du cinéma, se mettent en tête de réaliser un film. Afin de le financer, ils vont commettre un casse, mais surtout « vivre comme au cinéma ». Frais, original, le film enchaîne les situations comiques sans temps morts mais avec un rythme posé, qui permet à Yi Myung-se de faire transparaître – derrière les masques des rôles qu’ils s’attribuent – l’humanité de ses personnages et leurs besoins d’évoluer dans un monde plus conforme à leurs rêves. Le trio infernal va ainsi revisiter à sa manière de nombreuses scènes archétypales cent fois vues et revues sur les écrans. Inventif et pertinent jusque dans ses cadrages décalés – qui font parfaitement échos au point de vue de ses personnages – Gagman rappelle que le cinéma est un medium particulièrement adapté pour confronter rêve et réalité. Ode à la cinéphilie et aux laissés pour compte, on ne serait pas choqué d’entendre Tarantino ou le Tim Burton d’Ed Wood et de Big Fish revendiquer l’héritage de Gagman.