Sung-nam fuit la Corée du Sud pour échapper à une arrestation, il débarque à Paris. Souffrant d’abord de l’absence de sa femme, il se constitue peu à peu dans la capitale une géographie sentimentale complexe et empirique. Ne fuirait-il pas autre chose ? Sa femme ? Lui-même ? Sans rien renier de sa méthode, Hong Sang-soo poursuit sa quête d’individus qui se cherchent, et semble chercher à leurs côtés.
La distribution française de Hong Sang-soo garde sa part d’originalité. Trois films sortis en 2002 (Le Pouvoir de la province de Kangwon, Le Jour où le cochon est tombé dans le puits et La Vierge mise à nu par ses prétendants), deux en quelques mois en 2004 (Turning Gate et La femme est l’avenir de l’homme), un « isolé » en 2005 (Conte de cinéma). Mais que devenait donc le chantre du marivaudage alcoolisé ? La réponse est pour cet été 2008 : Night and Day en juillet avant Woman on the Beach en août. Tout bien réfléchi, cela n’est pas sans ajouter un charme à ce cinéma du travail interne des individus face à la « chose » sentimentale, entre répétitions et infimes variations sur des figures imposées.
Après Tsai Ming Liang, partiellement, avec Et là-bas, quelle heure est-il ? (2001), ou plus récemment Hou Hsiao Hsien et Le Voyage du ballon rouge (2007), c’est donc au tour de Hong Sang-soo de venir poser sa caméra à Paris avec ici Night and Day. Tsai Ming Liang se situait directement dans la citation, à Taipei un jeune garçon regardait obsessionnellement des images du film Les 400 Coups de François Truffaut et à Paris une jeune femme dialoguait sur un banc avec Jean-Pierre Léaud. Qu’en est-il ici pour le Coréen dont on connaît le lien ténu à la modernité (il se décide à pratiquer un cinéma narratif après avoir vu Le Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson) et à la Nouvelle Vague française? Il s’agira d’un Paris, le cinéaste y a vécu un an, peuplé de Coréens (et même d’un Nord-Coréen). De petites allusions filtreront, on verra discrètement disposés sur une étagère quelques DVD, notamment de Jean-Luc Godard, et exemplaires des Cahiers du cinéma. C’est aussi un film où l’on passe beaucoup de temps, mais ce n’est pas une nouveauté chez Hong Sang-soo, dans les intérieurs, les chambres, dans de petits appartements, référence assez évidente, par exemple, à À bout de souffle.
Comme toujours, Hong Sang-soo met en place une intrigue prétexte plaçant les individus en errance et compose une variation à partir de cette situation de départ. Kim, un peintre d’une trentaine d’année, a fui son pays pour échapper à une arrestation (pour avoir fumé un joint). Il y laisse une femme pour qui il fait nuit quand il fait jour pour lui. La Corée reste le centre de gravité sentimental et géographique du personnage, il rencontre Min Su, une ex qui remettrait bien le couvert dix ans après, et deux colocataires étudiantes en arts, parmi lesquels la jolie Yu-jeong dont il se sent de plus en plus amoureux alors qu’elle ne lésine pas sur les défauts. Night and Day reprend les catégories déjà entrevues chez le cinéaste. Pour synthétiser, alors que l’homme est un peu lâche et veule, les filles quant à elle tiennent beaucoup de la chieuse « rohmerienne ». L’errance du personnage masculin est une figure de l’irrésolution, face à un ensemble de possibles sentimentaux, celui-ci va composer des stratégies pour faire coïncider ses désirs et à sa vérité, ceci en passant par le mensonge et des situations de dilemmes inextricables dont il est lui-même responsable. Se composent et décomposent des liens, la certitude d’avoir opté pour la bonne résolution est aussitôt défaite par la situation suivante.
Autour de son personnage, le cinéaste compose une belle figure de l’étranger, non pas au sens qu’il n’est pas français ni parisien, mais plutôt en tant qu’étrangeté du regard qu’il porte sur le réel auquel il ne prend pas véritablement part, dont il est plus spectateur que partie prenante. Ce regard est aussi celui qu’il pose sur lui-même, un être flottant dans une béance de son existence. Le déplacement du cinéma de Hong Sang-soo en France entraîne quelques évolutions formelles, d’abord en matière de narration. Celle-ci est en partie prise en charge par la voix-off de Kim, sorte de journal intime fragmentaire basé sur l’impression fugace, ce qui renforce son incertain état de présence au monde. La mise en scène fonctionne sous forme de blocs avec de nombreux recadrages déjà en œuvre dans ses films précédents. Toutefois, de nombreux mouvements de caméra ascendants partent des personnages pour rejoindre les nuages, ceux du ciel ou bien ceux des peintures de Kim, comme la représentation de son état d’être à la fois ici et ailleurs, à Paris et en Corée où se trouve sa femme. Mais aussi, cette figure de style est la gestation de son passage de la condition d’homme à celle de père, une résistance dans le réel dépassée par un désir inconscient qui s’impose à lui, même si cela doit passer par le mensonge de sa femme.