La 18ème édition du Festival du Court en dit long a tenu ses promesses. L’apparente richesse du programme n’a pas fait défaut au désir de spectateur qui prenait ses racines à la lecture des synopsis : de nombreuses formes se sont sans cesse entrechoquées.
La Belgique voudrait-elle enterrer son père ? Trois films mettent en scène le deuil d’un père. Le premier, Mutisme sélectif de Vincent Terlinchamp se sert du trépas comme toile de fond à l’écriture d’un autre drame, celui du fils, incapable d’avouer son homosexualité à sa mère. Dans les deux films suivants : (À peine) de Damien Collet et Retour simple de Jérôme Guiot, le deuil du père est ce qui réunit la famille et qui fait donc venir le temps des règlements de compte. Les deux films ont tout de même la décence de mêler les franches disputes aux éloquents non-dits. Seulement Retour simple se tire bien mieux de sa difficile tâche en inscrivant son récit dans une dramaturgie plus complexe, nettement plus subtile : la fille du défunt père revient dans la famille après une longue absence. Cette absence pèse, pour le frère, pour le spectateur. Jérôme Guiot parvient à poser une regard sensible à la fois sur l’abandon d’une fille pour son père (est-elle fautive jusqu’au bout des ongles ?) ainsi que sur l’amour entre frère et sœur, avec des idées de mise en scène pour le figurer (contrairement à (À peine) qui passait en force avec une omniprésence du dialogue surfait et des situations chocs caricaturales). Les deux films se terminent sur la force du geste : une paix par le symbole.
Du côté de l’animation, le festival a proposé deux excellents films malheureusement pas récompensés. D’abord Mémoire fossile d’Arnaud Demuynck et Anne-Laure Totaro qui narre dans un sublime noir et blanc toute l’histoire d’un grand-père que le petit-fils découvre à l’aide d’un stéthoscope. Ensuite Le Concile lunatique d’Arnaud Demuynck et Christophe Gautry qui nous raconte l’aventure extraordinaire d’un jeune poète. Les deux films déploient un imaginaire foisonnant : l’un avec l’image qui se métamorphose sans cesse, l’autre avec ses mots qui dansent et claquent dans les voix des personnages avec autant d’aisance que le lampadaire du film se meut tel un serpent infatigable.
Critikat a eu l’honneur de pouvoir remettre un prix symbolique à un des films en compétition. Le choix s’est porté sur une des œuvres les plus radicales de la sélection : Hors-chant de Renaud de Putter qui met en scène une célèbre cantatrice qui perd sa voix et qui est hantée par des souvenirs d’enfance (elle se rappelle par exemple d’une poupée fabriquée par sa servante de l’époque qui était la dernière survivante des Béothucks, une tribu indienne). Film le plus long du festival (32 minutes), Hors-chant est une réussite inestimable porté par un scénario d’une très grande richesse. La voix-off très présente tout le long du film trouve sa force dans sa complémentarité à l’image (ce qui est rare) en ce sens qu’elle multiplie la force de celle-ci plus qu’elle ne s’y ajoute. L’image procède par une puissance métonymique : Renaud de Putter s’éloigne de la reconstitution réelle du passé de la cantatrice, qui aurait pu être entourée de sa famille par exemple. Tout passe par le détail, la petite partie qui devient encore plus grande que la réalité du personnage, cette réalité qu’est le film. Le travail de composition sonore est admirable, tantôt mélancolique tantôt cauchemardesque. Le réalisateur confie aux méticuleux et puissants cadrages une nouvelle épaisseur : celle de la fable. Plus hermétique que d’autres films de la sélection (il suffit de voir les films les mieux notés par le public : Tabu, Climax, Martha trop bien huilés dans leur tentative d’être drôle ou choquant), Hors-chant est d’autant plus difficile à saisir qu’il ne cesse de brouiller les repères d’identification du point de vue formel. C’est un grand court-métrage à la fois classique et expérimental.
On pourra regretter l’absence, ou presque, de films politiques. Excepté Na Wewe d’Ivan Goldschmidt, récompensé par le prix Cinécourt, qui est une sorte d’anecdote joliment symbolique sur la bêtise humaine à vouloir perpétuer les différences ethniques comme fondamentales, rien ne faisait vraiment le poids. Le palmarès, à l’image de la sélection, éclectique, ne surprend pas plus mais ne déçoit pas non plus. L’Heure bleue de Michaël Bier et Alice de Vestele remporte assez justement le Grand Prix du jury. Les souffrances d’une trentenaire qui compose entre son métier d’aide-soignante (accompagnant les mourants jusque dans les derniers soins) et ses débauches nocturnes alcoolisées, d’une grande tristesse sourde. L’âpreté du quotidien pèse lourd sur les épaules de ce personnage en total décalage avec le monde professionnel, ses amours.
Le prix du public est revenu à Tabu de Vincent Coen et Jean-Julien Collette. Mais le problème du film peine à cacher le fossé entre son histoire et son traitement : il s’agit ici d’une sorte de complexe d’Œdipe dans un terrain de jeux branché, avec les bières belges et la guitare en bandoulière. Le frottement a visiblement plu mais il ne saurait éliminer l’importance des pièges qu’un film incroyablement commercial peut encore produire : se délester du tabou, ne plus le penser. Martha, proche en un sens de Tabu affiche pourtant des partis-pris de mise en scène complètement inverses : la décontraction laisse place aux névroses et aux tourments dans un film social finalement pauvre. Le problème des deux films est le même : malgré leur sujet, leur écriture parfois inventive et riche, c’est cette volonté de faire un film cohérent à tout prix qui semblent nuire. L’Heure bleue, Retour simple, Hors-chant et quelques autres, les meilleurs films du festival, trouvaient leur force dans leurs aspérités, leurs trous, leurs ruptures et leur capacité à se retourner dans un sens puis dans l’autre sans jamais s’appesantir. Le seul vrai point noir est le prix du scénario à un des plus mauvais films de la compétition : Vivre encore un peu… de David Lambert dont l’étrangeté ne parvient pas à combler un manque flagrant de souffle, de rythme et de jeu.
Au bout du compte, le festival nous a permis de découvrir la richesse du paysage cinématographique belge qui malgré ses interrogations récurrentes sur le deuil, la famille et leurs affres, propose des pistes prometteuses pour la suite.