Si on parle en ce moment beaucoup des courts de Roland-Garros, Critikat.com était cette semaine plutôt occupé par ceux du Centre Wallonie-Bruxelles, qui organisait la vingtième édition du festival « Le court en dit long ». Retour sur cette sélection teintée de mondes en crises, sur ses plus belles propositions, et bien sûr sur notre lauréat : Christine d’Isabelle Schapira.
Si l’expression « cinéma de crise » vaut souvent pour formule fourre-tout sur le cinéma dit « réaliste », elle s’est tout de même clairement illustrée dans cette vingtième sélection. Nombreuses furent les propositions portées par des personnages désorientés, souvent contraints à mener une vie de front, comme un combat. Face à cette existence qui pèse comme une lutte, certains proposent des portes de sortie, comme Vertige de Christophe Gautry et Mathieu Brisebras. Ce film en stop-motion a clairement emporté notre palme de l’animation, grâce à une métamorphose du paysage urbain dans sa symétrie, un retournement : une fuite dans un contre-monde, pas en avant, pas en arrière, mais dans la rotation, justement distingué par le jury qui lui a attribué une mention spéciale.
De façon générale, le palmarès rejoint, à quelques détails près, nos favoris de cette sélection. Élu, entre autres, Prix du scénario, Le Cri du homard de Nicolas Guiot décrit le retour impossible d’un jeune Russe dans sa famille après son service en Tchétchénie. La violence vampirique qui l’empêche de redevenir homme et coupe un à un tous ses liens est certes touchante, et assez élégamment traduite par le metteur en scène même si on regrette que la caméra ne s’approche pas assez du soldat lui-même. Du coup, la question du point de vue est parfois un peu flottante et ambiguë, naviguant entre une petite sœur plutôt apathique, une mère indulgente, un père changeant. Si le Grand Prix du jury est allé à Martin de Raphaël Parmentier, joli portrait d’un jeune homme dont la mise en scène traduit assez justement – quitte à s’embarrasser de quelques inutiles fioritures – ses errements, le public s’est quant à lui montré plutôt inspiré en récompensant le très ludique Fable domestique d’Anne Sirot et Raphaël Balboni. Sorte d’Eyes Wide Shut bruxellois teinté de marivaudage, le film se joue des clichés et associe, avec un plaisir communicatif, désir de l’autre et plaisir du mot, notamment lors d’une scène de tableaux ubuesques où un couple en proie à la lassitude et à la frustration semble enfin pouvoir se réinventer.
S’il est courant pour le festivalier de redouter les films les plus longs, il a cette fois été rassuré, trouvant dans les quelques moyens métrages proposés de plutôt jolies découvertes. Ce fut le cas des Navets blancs empêchent de dormir, de Rachel Lang (avec Salomé Richard, récompensée l’année dernière), porté par une direction d’acteurs pleine de justesse, de légèreté bien dosée, bien qu’un peu flou sur son écriture de l’engagement amoureux et des passions. De même, Walking Ghost Phase, dont le synopsis mêlant amour et catastrophe nucléaire inspirait au moins la perplexité, s’avère relativement convainquant. Malgré un côté plutôt rentre-dedans, Bruno Tracq décrit un monde fatalement envahi par une présence virale intérieure comme extérieure, au sein de laquelle les êtres humains peinent à maintenir les liens. Nous pourrions ajouter à ceux-là quelques titres plus ou moins plaisants, au sein d’une sélection dotée de nombreux films qui, même s’ils ne captivaient pas outre mesure, tenaient bon la barre : le décalage naïf du Syndrome du cornichon de Géraldine Doignon, le double jeu évocateur du fermier de U.H.T. de Guillaume Senez, ou encore la fragile résistance de l’actrice principale de Fancy-Fair de Christophe Hermans.
Après Le Cours des choses l’an dernier, notre prix coup de cœur est revenu cette année à Christine d’Isabelle Schapira – tout autant qu’il s’adressait à sa comédienne, Christine Dargenton, lauréate du prix d’interprétation féminine. La réalisatrice y raconte, avec beaucoup de pudeur, le vibrant renoncement d’une mère dont le fils a brutalement quitté le domicile. Grâce à une écriture parfaitement dosée, un montage sobre, très dévoué à son personnage, et surtout à une comédienne tout à fait bouleversante, Christine est un film courageux sur la séparation, sans bris de verre, sans récitation : un lâcher-prise brillamment capté, à l’image de cette sélection de courts-métrages où la redéfinition des repères a constamment travaillé les personnages (et les auteurs), reflets probables d’un monde (et d’un pays) en crise qui refuse de se couper de l’humain.