Le festival « Le court en dit long », organisé depuis 21 ans par le Centre Wallonie-Bruxelles, est ouvert aux courts-métrages produits ou coproduits dans ces deux régions. Il permet donc de faire annuellement un point sur la jeune production cinématographique belge francophone. Partenaire du festival depuis trois ans, Critikat y remet un Prix coup de cœur, qui est revenu cette année à Vie de rêve en promotion – film hybride composé de séquences d’animations et de prises de vues réelles – réalisé par un collectif de trois réalisateurs. Le jury du festival a quant à lui distingué Betty’s Blues (Grand Prix du jury), Merci d’éteindre en partant (Prix de la mise en scène) et Premiers pas (Prix du scénario et d’interprétation féminine).
Plusieurs lignes de force se dégagent de la vision d’ensemble des 38 courts sélectionnés. La plus évidente est l’importance de l’empreinte des frères Dardenne sur la jeune génération de cinéastes belges. Un très grand nombre de films s’inscrit en effet directement dans la veine réaliste et sociale caractéristique des frangins, et le moins que l’on puisse dire est que la leçon a été bien assimilée. Le niveau général de maîtrise et de savoir-faire est assez élevé, et abouti à des résultats plutôt probants mais sans surprise, comme Le Fils du Blanc, RAE, En attendant le dégel, La Part sauvage ou encore Premiers pas.
Le Fils du Blanc de Maxence Robert (Mention spéciale du jury) constitue par exemple, malgré d’évidentes qualités de mise en scène et de direction d’acteur, un condensé de la méthode des frères Dardenne. Contexte social aride clairement défini (un groupe d’ouvriers vient quémander du travail à l’entrée d’une usine), isolement d’une trajectoire singulière au sein de cet environnement (un jeune homme aux motivations obscures), développement de liens filiaux renforcés par l’âpreté du travail (thème que l’on retrouve également dans La Part sauvage de Guérin Van de Vorst, qui a reçu le Prix d’interprétation masculine). Derrière des êtres au comportement taiseux se cache toujours une recherche de légitimité (ici, face à un père), qui se justifie par une incapacité récurrente à exposer ses propres sentiments, à établir un moyen de communication. Que le jeu tout en retenue et en effusions ponctuelles des acteurs soit le porte-étendard d’une conception du réalisme – qui puisse incarner la caution de « vérité » du récit – indique bien qu’il va falloir, pour faire avancer ce qui est maintenant devenu un genre en soi, sortir de cette ornière.
Le deuxième écueil de cette reconduite d’une méthode trop bien digérée, c’est la justesse. Que ce soit dans En attendant le dégel de Sarah Hirtt, qui joue avec brio de toute une palette de nuances entre les personnages, ou dans Premiers pas de Grégory Lecocq, qui déroule un récit minimaliste en autant d’étapes imposées, la justesse enferme plus qu’elle n’ouvre les portes du récit. Car elle se transforme bien vite en laboratoire voué à sa propre recherche de convenances qui, malgré son intelligence et sa sensibilité, ne renvoie qu’à une qualité d’écriture. Une sorte de formatage des affects qui passe plus de temps à se demander comment les faire advenir de la manière la plus naturelle possible, qui prépare le terrain avec une précaution laborieuse, plutôt que de les laisser surgir avec toute leur force et leur caractère incontrôlable. Sûrement impressionnés par ce que les Dardenne sont capables d’en faire, cette lignée de jeunes réalisateurs regarde leurs illustres aînés avec trop de respect. Mais nul doute qu’avec le niveau de maîtrise qu’ils atteignent à l’aube de leur carrière cinématographique, ils sauront s’en débarrasser pour courir vers d’autres horizons.
Pour preuve, une thématique récurrente de la programmation, celle de la disparition d’êtres chers, a réussi à être traitée par le biais d’approches plus singulières. Elle semblait en tout cas constituer un sujet d’intérêt pour le jeune cinéma belge, et plusieurs cinéastes ont choisi cette année de faire dialoguer les vivants avec les morts (L’Annonce de Laure Hassel, La Terre ou le Ciel de Françoise Dupal). Entièrement construit autour de ce motif (une femme discutant avec son mari décédé), Merci d’éteindre en partant est particulièrement touchant. Le téléphone portable, emblème contemporain de la communication dans le couple, par lequel transitent aujourd’hui les petites marques d’attention quotidiennes et les piques désobligeantes, est l’objet central de ce dialogue. L’expérience de l’absence s’étant significativement amoindrie en nos temps numériques, la mort de l’époux ne se matérialise vraiment dans l’esprit de sa femme qu’avec la prise de conscience progressive et toujours retardée que la communication est bel et bien définitivement coupée, que l’absence de messages de sa part n’est pas due à un problème de réseau ni à un manque de batteries. Tourné en extérieur dans la lumineuse nature canadienne lors d’un kino-cabaret, ce petit film de quelques minutes du plus tout jeune Thierry De Coster a été l’un des temps forts du festival.
Notre prix Coup de cœur Critikat est revenu à un film dont la vivacité des échanges et la porosité des modes de représentation constituait un joli coup de pied dans la fourmilière. Vie de rêve en promotion d’Ellen Salomé, Alicia Keppenne et Kévin Dupont mêlait ainsi séquences d’animation et prises de vue bien réelles. Et pourtant la ligne de démarcation entre les deux semblait bien indécise, tant le dessin des visages et leurs expressions présentait un rendu photoréaliste. Cette indécision guide tout le processus d’avancée du récit, qui sautille de scénettes en scénettes sans que l’on puisse saisir, à première vue, de quoi il retourne. Et pourtant, l’utilisation récurrente de produits de grande consommation à l’écran, ainsi que le caractère publicitaire et parodique de certaines séquences amène, peu à peu, à déblayer le terrain, jusqu’à la conclusion, qui révèle une portée bien plus large que le simple court-métrage à chute. Le film opère à la frontière entre rêves et quotidien d’une caissière de supermarché, ses hautes aspirations (aventure, amour, savoir) étant constamment parasitées par des élans consuméristes, révélant un instantané assez saisissant de l’état du monde. Un film protéiforme, aux multiples portes d’entrée et de sortie, qui bénéficie d’un univers, d’un humour et de qualités graphiques toujours au service de son propos.
En opposition à l’école « dardennienne » dont nous parlions plus haut, quelques réalisateurs se positionnent comme créateurs d’atmosphères. Des gestes comme Eliot (de Philippe Reypens), La Faveur des moineaux (de Serge Mirzabekiantz) ou Un monde meilleur (de Sacha Feiner), bien que pas exempts de défauts, méritent un peu d’attention. Ambiance solaire et mélancolique pour Eliot, trajectoire torturée d’un adolescent introverti. L’image très appliquée – portée par une luminosité irradiant de magnifiques décors automnaux – et la voix-off rétrospective placent le film sur le terrain de jeu du Memory Lane de Mikaël Hers. Ces souvenirs semi-fantasmés d’une adolescence à la fois belle et douloureuse constituent une jolie mise en place pour ce film qui malheureusement tend à se figer dans sa seconde partie, en raison de choix scénaristiques un peu convenus et du déroulement mécanique du parcours d’Eliot, qui finira par accomplir son destin et par devenir réalisateur. Ambiance rigide et hostile d’un grand manoir bourgeois perdu dans la forêt pour La Faveur des moineaux. Deux enfants perpétuent la tradition et partent à la chasse avec pour mission d’être à la hauteur de leur pesante histoire familiale. Surplombés par de nombreux arbres aux silhouettes verticales et à la puissance mutique, obligé de se dépêtrer à même le sol dans les marécages des sous-bois, la mise en scène ingénieuse s’alimente de cette confrontation entre la condition vulnérable des enfants – qui ne sont à toute évidence pas armés pour endosser à plein l’héritage de leur lignée – et la raideur de l’éducation qui leur est administrée. Un peu moins abouti lorsqu’il s’attache à développer la relation entre les deux frères, La Faveur des moineaux – qui aurait très bien pu s’appeler Le Ruban vert, en référence au film de Haneke et aux teintes verdâtres dont il est empli – atteste d’une belle maturité dans la création d’images signifiantes et génératrices de tension. On peut légitimement nourrir de l’ambition pour ce petit groupe d’auteurs, et leur souhaiter de parvenir à assouplir leur écriture encore un peu scolaire et à apprendre à dévier de leurs postulats de départ pour laisser leurs films explorer quelques chemins de traverse qui, loin de diluer leur message, parviendront sans aucun doute à en renforcer la pertinence et à introduire cette part de fragilité nécessaire à tout grand œuvre.