Nichée à l’ombre du colosse tubuleux de Beaubourg, la petite salle du centre Wallonie-Bruxelles proposait comme chaque année un panorama du jeune cinéma belge francophone à l’occasion du festival « Le court en dit long », sélection compétitive de 38 courts-métrages qui échappent – et c’est heureux – à l’écueil redouté d’un cinéma sous influence (dardénienne, pour ne pas les citer). Malheureusement, la maîtrise manifeste et parfois brillante des outils de mise en scène reste un fardeau pour des films qui, en grande majorité, n’osent pas louvoyer hors des sentiers de leurs acquis techniques. Formule amuse-gueule et sans danger, le court-métrage fait encore l’objet d’un saucissonnage regrettable, corseté par les tares du formatage (l’obsession des récits scolaires) et des figures imposées (la drôlerie poussive, les bouffées de surréalisme fatigué et une tendance au pathos de l’extrême), au détriment de l’imaginaire, de la singularité de ton et d’un esprit canaille dont l’absence se ressentait parfois un peu.
Première tendance forte de cette année : la tentation fantaisiste. Gages de légèreté à moindre frais, les vapeurs de fantaisie offrent l’avantage de l’humour sans l’inconvénient du comique. En d’autres mots, à part Lucha Libre d’Ann Sirot et Raphaël Balboni et Partouze de Mathieu Donck, aucun film n’ose la farce, saupoudrée frileusement, comme un caprice coupable, par petites touches de drôlerie éruptive ni trop franches ni vraiment subtiles. Mais à trop faire la fine bouche, la jeune création belge de cette 22ème édition s’est privée du luxe d’un cinéma comique affirmé et inédit, comme l’industrie locale nous en a servi dans ses moments d’incandescence (la bouffonnerie macabre de C’est arrivé près de chez vous, ou le vachard Dikkenek, pour ne citer que les cas les plus populaires d’une tradition locale étonnement boudée). À ce titre, la palme de la minauderie revient à Solo Rex de François Bierry, qui déploie sa queue de pan à grand renfort de tableaux surréalistes contrefaits (un cheval dans une chambre, une tronçonneuse thermique testée devant un nourrisson, une fanfare à vélo).
Frappé d’embargo, le comique est mis sous cloche, exposé comme une relique, à l’occasion, sans jamais faire l’objet d’un travail de genre. Pire, désavouant l’humour gras et la potacherie des aînés, certains trouvent refuge dans l’esprit troupier, cocktail un peu snob d’absurde ringard et d’impro bégayante. Dans Le Désarroi du flic socialiste Quechua, Emmanuel Marre dégaine la carte du lâcher-prise et de la distanciation décomplexée, comme on coche des options à l’achat d’une voiture. Entre numéros en roue libres et joutes sur-écrites, le film trempe le bout de ses orteils dans le bain d’un postmodernisme à température, et déroule son petit traité de loufoquerie nonchalante dans les règles de l’art – à l’abri du moindre faux pas.
Cantonné aux franges d’une sélection nivelée par le milieu, le rire se paye la portion congrue, barbotant dans les flots diluviens d’un pathos de convenance. Aimanté par le deuil d’un côté, et la maladie de l’autre, le drame s’est taillé la part du lion. Si la plupart des films trouvaient dans le chagrin un petit train-train de confort, d’autres comme Septembre de Salomé Richard prennent le parti d’un libertinage soulageant. Talonnant les pérégrinations de sa nymphe en manque d’affection, le film nous berce dans la valse des rencontres, au fil des regards coquins et des propositions indécentes, et parvient à communiquer le désœuvrement de son héroïne – l’une des rares émotions sincères du festival.
Dans un tout autre style, la poésie malicieuse de Blast of Silence souffla les seules vraies bourrasques du genre, dans un exercice de « fan footage » jubilatoire et rafraîchissant. Qui aurait pu s’attendre à voir débouler les colosses Schwarzenegger, Stallone et Jean-Claude Van Damme dans un festival de courts métrages belge ? C’est désormais chose faite avec ce film de montage concocté à l’occasion d’un appel à projet de « found footage » par les « Ateliers Jeunes Cinéastes », auquel Aurélien Doyen a répondu par la parodie. Le principe est simple, et l’effet hallucinant pour ce Last Action Hero teinté de mélancolie : faire courir en parallèle des images arrachés à quelques actioners des familles, et une bande-son clandestinement orchestrée à partir de la filmographie d’Ingmar Bergman. Piégeant ses icônes bodybuildés dans la temporalité indécise du ralenti, le geste dessine par fulgurances une sorte de portrait en creux du héros reaganien.
À cet irrésistible travail de sape et d’amour, récipiendaire de notre modeste « Coup de cœur », il faut ajouter deux portraits très efficaces (Le Conseiller d’Elisabet Llado et Gabrielle Margot Fruitier et Pau Cartron), logiquement récompensés par les prix d’interprétation féminine et masculine du festival : l’un, sec et factuel, d’un conseiller bancaire bien intentionné qui finira malgré lui en bourreau ; l’autre, louvoyant et chuchoté, d’une jeune femme en quête de sa première passe. Les deux films tirent leur épingle du jeu par leur art du désamorçage et du pas de côté, une manière de traiter des enjeux édifiants en alliant frontalité des situations et opacité des desseins. C’est que le court-métrage, format un peu trop condamné au script à engrenage, n’est jamais aussi probant que lorsqu’il se penche sur des personnages qui, pris dans l’étau du monde et du cinéma, rêvent simplement d’exécuter autre chose que ce que l’on attend d’eux.