Samedi dernier s’achevait la dix-neuvième édition du festival Le court en dit long, organisé par le Centre Wallonie-Bruxelles. Comme chaque année, l’équipe de Louis Héliot mettait à l’honneur le court métrage belge francophone dans une sélection d’une trentaine de films confrontés au jury et au public. Critikat.com, pour la deuxième fois consécutive, remettait pour l’occasion un prix coup de cœur. Retour sur cette dix-neuvième sélection, ses multiples visages, et les principaux films qui ont retenu notre attention.
Trente-quatre films composaient cette année la compétition officielle. Au moment de faire le tri de nos impressions, l’une d’entre elles revient souvent : celle d’une profonde subjectivité. En effet, la programmation fut jalonnée de films développant, pour le pire ou pour le meilleur, un regard assumé, une prise de parole témoignant de propositions viscéralement personnelles. Nombreux sont les films mettant en scène la marginalité, l’insularité : des personnages isolés, parce qu’ils l’ont choisi (Étrangère, de Christophe Hermans), parce qu’ils subissent leur propre différence (Mauvaise lune, de Méryl Fortunat-Rossi et Xavier Seron), ou bien, de façon plus complexe, parce qu’ils appréhendent difficilement ce choix délicat d’être soi-même tout en étant avec les autres – des existences qui peinent à trouver l’harmonie (Le Garçon lumière, de Jérémy Van der Haegen).
Le Cours des choses succède donc cette année à Hors chant pour le coup de cœur Critikat. C’est l’histoire d’Élise, et de l’angoisse qui peu à peu engourdit, puis paralyse son quotidien. Parole de l’absence, qui se nourrit étonnamment du vide plutôt que de s’exprimer dans l’effet, la mise en scène de Caroline Tambour témoigne à la fois d’une précision et d’une grâce qu’il nous a semblé important de récompenser. C’est une proposition humble, savamment mesurée, qui fait naître l’émotion dans l’ellipse, dans l’attente amputée de son objet, avec beaucoup de délicatesse. Pour son premier film, la jeune réalisatrice belge livre une partition mêlant maturité, générosité, et s’abstenant de tout orgueil au profit d’une épatante discrétion.
Choisir un film, c’est toujours en sacrifier un autre, deux autres, et plus encore. C’est donc avec beaucoup de plaisir que nous avons retrouvé, dans le reste du palmarès, des films qui pour nous aussi, lors de la délibération, ont fait débat. Le Petit Chevalier d’Emmanuel Marre remporte un prix du public amplement mérité : pour un film plutôt singulier dans cette programmation, peignant avec une certaine choralité les portraits croisés d’un père, une mère, un enfant, une cellule familiale mort-née, presque fortuite. Traversée juste et incandescente parmi ces liens qu’ils peinent à renouer, le film questionne volontiers l’idée de l’amour parental, de l’autorité, et des costumes qu’on endosse pour réconcilier les deux. Celui de la mère lui va mal, sûrement un peu trop grand. Le jeune Maxime Damman délivre une performance sur le fil, étonnante de justesse, sans angélisme, assumant avec talent l’inconfort de sa relation avec sa mère, sa position un peu trop stratégique dans ce triangle familial. Dimanches, de Valéry Rosier, est une variation tantôt absurde, comique ou mélancolique autour d’un temps étiré, de formes de vies solitaires, pourtant parfois voisines. Chronique d’un moment déserté, le film semblait avoir conquis le public par son décalage burlesque. On le retrouve avec plaisir dans le palmarès. Nuit blanche, de Samuel Tilman, avait également retenu notre attention. Serge, sauveteur alpin, maintient toute une nuit durant le contact téléphonique avec Ariane, prisonnière du froid quelque part dans les hauteurs de la montagne. S’imposant un parti pris courageux car contraignant – on ne verra jamais Ariane –, le film fait naître une vibrante émotion autour des gestes et paroles de Serge, son détachement très professionnel se superposant à l’intensité bouleversante de l’instant.
Malheureusement absent du palmarès, Le Garçon lumière de Jérémy Van der Haegen aurait certainement mérité plus d’attention de la part des différents jurys. Narrant les aventures d’une adolescente toujours confrontée à ce même rêve qui la voit tomber dans l’immensité du vide, le film surprend par sa capacité à saisir quelque chose dans l’immatérialité de l’espace-temps. Servi par une mise en scène inventive qui ne recule jamais devant les ruptures de ton et par des dialogues d’une belle littéralité (sans parler de la jeune actrice, véritable révélation du festival, qui n’aurait pas volé le prix d’interprétation), Le Garçon lumière est probablement l’une des propositions les plus habitées de la sélection. Autre absent du palmarès, l’étonnant Thermes de Banu Akseki (par ailleurs récompensé dans d’autres festivals) a également retenu notre attention. Formellement très abouti, le film est dès les premières minutes lancé sur les chapeaux de roue (un peu trop rapidement peut-être) et déroule un univers original et maîtrisé : les sons, les cadres et les mouvements de caméra ne cessent de mettre à l’épreuve les corps des personnages et parviennent à insuffler dans cet univers hautement cinégénique une inquiétante étrangeté inhabituelle et surprenante.
Mercredi 8 juin 2011, lors du forum quotidien organisé avec les personnalités du festival, Louis Héliot posait à deux producteurs belges la question de l’accompagnement des réalisateurs, et de la difficulté de poursuivre une activité de financement du court métrage une fois qu’un passage au long était engagé. Même si Anthony Rey (Hélicotronc) et Aurélien Bodinaux (Néon Rouge Productions) ne comptent pas, après leur basculement, abandonner leur production de courts métrages, il incombe encore à cette précieuse vitrine pour les jeunes cinéastes wallons d’encourager toujours plus vivement leur création et d’offrir à leurs films une chance rare d’être présentés à un public français.