Disparition de notre « grand ami » Omar Bongo, condamnations aussi tardives que médiatisées dans l’affaire de l’Angolagate… Une affaire d’État semble sortir au bon moment, alors que le spectre de la Françafrique revient hanter la République. Hélas, le film a quelque chose de pasquaïen : il a beau rouler des mécaniques, ses promesses de révélations fracassantes ne sont pas tenues. On se plaint trop souvent de l’incapacité du cinéma français contemporain à saisir le réel pour ne pas se désoler de l’échec de cette Affaire d’État éventée.
Un avion explose au dessus de l’Afrique dans une gerbe d’effets spéciaux très laids. Il transportait clandestinement des armes à destination du Congo en guerre. Tandis qu’en haut lieu, l’exécutif s’inquiète de l’origine de la fuite et de ses conséquences sur les prochaines élections, des insurgés congolais réclament une nouvelle livraison et, pour appuyer leur demande, kidnappent des soldats français. Parallèlement, à Paris, une jeune policière enquête sur le meurtre d’une call-girl.
Adaptant un roman de 2001 (Nos fantastiques années fric de Dominique Manotti) qui lui-même s’inspirait des affaires de ventes d’armes illégales décidées au plus haut niveau de l’État français dans les années 1990, Une affaire d’État s’essaie à la politique-fiction, un genre devenu trop rare en France et dans lequel excellent nos amis d’outre-Manche (In the Loop) et d’outre-Atlantique (la trop sous-estimée Guerre selon Charlie Wilson). Hélas, le film d’Éric Valette n’est ni une satire, ni une charge dénonciatrice : tous les enjeux potentiels sont sacrifiés à une volonté voyante de « faire polar ».
En effet, passé quelques images d’actualité un peu trop décontextualisées, Une affaire d’État abandonne rapidement le Congo à son triste sort, et se concentre sur les manœuvres d’une poignée de politiciens chafouins, d’intermédiaires douteux et d’homme de main grimaçants. Les tenants et les aboutissants de « l’affaire » passent à la trappe ; on ne saura jamais pourquoi et au nom de quels intérêts les ventes d’armes ont été commanditées. Le film n’est pourtant pas avare en dialogues, mais ceux-ci obscurcissent le scénario-prétexte plus qu’ils ne l’éclairent. Les acteurs, inégaux, affectent le plus souvent un air grave et un ton conspirateur. En fliquette-beurette qui fait trembler les notables de la République, Rachida Brakni est particulièrement peu crédible. Seul André Dussollier s’en sort honorablement, parvenant à rendre vulnérable et paradoxalement touchant son personnage d’éminence grise en disgrâce. La capacité de cet acteur à passer sans y laisser de plumes de l’univers de Resnais aux panouilles de Jeunet ou de Valette a quelque chose de fascinant.
La mise en scène d’Éric Valette, déjà responsable d’un navet horrifique il y a quelques années (Maléfique), est d’une grande faiblesse. Tout le film dégouline d’une prétention et d’une vulgarité de nouveau riche, malgré un budget serré. Dans le dossier de presse, le réalisateur explique, avec une certaine candeur : « J’ai donc surtout pensé à rentabiliser au maximum les moyens, l’espace, les décors à ma disposition pour que ça ait de la gueule. » Mais pour réaliser un bon polar, il ne suffit pas de filmer ses acteurs dans des intérieurs cossus ou des extérieurs à fort potentiel touristique (tout Paris y passe : la BNF, le funiculaire de Montmartre, Notre-Dame, la Tour Eiffel sous toutes ses coutures…) ; pour instiller du suspense, de l’ironie et du lyrisme, il ne suffit pas de recourir à une musique insistante (la plaie du cinéma français) qui singe ici les bandes originales des westerns spaghetti. En somme, pour que ça « ait de la gueule », il faut plus que du décorum, il faut du talent et des idées de mise en scène. Les auteurs rêvaient de retrouver la noirceur et l’ampleur de l’univers du grand James Ellroy, mais ils ne parviennent qu’à aligner tous les piteux stéréotypes du film noir à la française, avec trognes patibulaires et répliques testostéronées. Misère d’un certain cinéma hexagonal qui se rêve hollywoodien quand il ne fait que reconduire de vieux poncifs bien de chez nous.
En plus de l’auteur de L.A. Confidential, le dossier de presse – décidément un outil pratique pour mesurer l’écart entre les ambitions et le résultat final – convoque le cinéma français des années 1970. Nombreux étaient alors les films, signés Yves Boisset, Costa-Gavras ou Henri Verneuil, qui osaient explorer les coulisses peu glorieuses de la République, et s’attaquer à ce que l’on n’appelait pas encore les « affaires ». Malgré ses lourdeurs, ses maladresses et son manque d’ambition formelle, ce cinéma-là était plus frais, plus courageux aussi. Il s’attachait à des petits juges, des journalistes intègres, des anonymes qui découvraient la face cachée du système et payaient leur idéalisme au prix fort – et non à des tueurs à gages maladroits et à des flics uniquement motivés par une vengeance personnelle. En échouant à atteindre des modèles qui pourtant n’avaient rien d’insurpassable, Une affaire d’État, avec ses gros flingues et ses gros sabots, ne constitue au fond que le triste reflet du cynisme de notre époque, où la « fiction de gauche » ne constitue qu’un genre parmi d’autres, et où l’on a tellement bien intégré que les plus hautes sphères du pouvoir sont minées par la corruption que l’on ne prend même plus la peine de s’en indigner.