Hubert Viel pourrait être un lointain cousin d’Antonin Peretjatko (le burlesque en moins). Avec lui, il compose une forme contemporaine de la Nouvelle Vague dans un mode énergique et acidulé : c’est un condensé d’expérimentations malicieuses et fantaisistes sur la matière du cinéma, toujours teintées d’humour distancié, mais pas dénuées de noirceur. Il en allait ainsi de son précédent court-métrage, Avenue de l’Opéra, récit virevoltant et ludique du crépuscule d’un jeune couple. Le réalisateur y alternait la flânerie du garçon dans les rues parisiennes et les confidences sur l’oreiller de la fille, au lit avec un amant. C’est assez logiquement qu’il passe donc, avec Artémis cœur d’artichaut, à la pellicule, et plus précisément au super 8 : matière idéale pour ce cinéma physique, granuleux, d’une substance délicieusement capricieuse. Artémis, déesse de la chasse, est étudiante en lettres à la faculté de Caen. Kalie (la nymphe Callisto), étudiante en arts du spectacle, emménage dans son appartement. Ensemble, elles mènent une vie insouciante entre soirées estudiantines et weekends en Bretagne. Kalie, fantasque, enchaîne les conquêtes masculines ; Artémis quant à elle esquive le sujet.
Frances Ha mythologique et provincial
Pas tout à fait un long-métrage – il a obtenu le grand prix du festival du moyen métrage de Brive, des mains du réalisateur Benoît Forgeard, avant de sortir dans une version agrémentée d’une dizaine de minutes supplémentaires –, Artémis se conjugue à plusieurs époques : celle, antique et mystérieuse, de la mythologie ; celle également de son support, et d’un cinéma révolu, où chaque image est le vestige précieux et fragile du moment filmé ; celle, enfin, d’une modernité qu’Hubert Viel ne boude pas, se délectant d’un certain esprit du temps assez croustillant, notamment dans ses dialogues. Les deux comédiennes, dans des tons opposés mais très harmonieux et complémentaires (la jovialité électrique, le calme poli et lunaire), donnent au film sa pulsation : Artémis cœur d’artichaut leur doit toute sa drôlerie.
Pour vraiment drôle, le film d’Hubert Viel réussit surtout sa combinaison fantasque des différentes échelles d’écriture : invoquée sans lourdeur, comme un jeu, la mythologie vient déifier le temps présent. Artémis apprend la pêche et le tir à l’arc aux enfants qu’elle babysitte ; elle déclenche foudroiements et apparitions animales pour se tirer de ses tracas de jeune fille (un garçon trop entreprenant, une incartade avec la police). Le fil du film saute joyeusement d’une strate à une autre, échange la chasteté de la déesse avec la faroucherie de l’étudiante, troque Zeus pour un papa skieur et absent. Les images d’enfance, poétisées par une subite apparition de la couleur, s’amusent à décrire une Olympe de home movies (ce sont des fragments de films de vacances à la montagne),
Bien plus qu’un gadget vintage, Artémis cœur d’artichaut réussit à être léger sans être hasardeux. Comme un musicien échangerait une plaisanterie avec le public au beau milieu d’une improvisation, Hubert Viel fait quelques apparitions intempestives. C’est là toute la charmante impertinence du film : lancé (du moins c’est ce que le réalisateur prétend) comme un pari, il ne quitte pas le stade du croquis, vagabondage joyeux à l’intérieur d’une ébauche ; et pourtant cet esprit bohème ne l’empêche jamais de garder une insolente tenue.