Le festival, fondé par Sébastien Bailly et Katell Quillevéré en 2003, fêtait cette année ses dix ans. Vingt-trois moyens métrages en compétition, une présentation des films de Lubitsch, une carte blanche à l’Angleterre, et une reprise des films célébrant les dix ans de Brive-la-Gaillarde.
On peut se demander ce qu’est le moyen métrage, la réponse logique serait : un peu plus long que le court, et plus court que le long (donc, autre chose que ces deux formats « normaux »). Seul rendez-vous qui met à l’honneur ces films de cette durée (de 30 à 59 minutes), le festival de Brive-la-Gaillarde permet de montrer des formats qui trouveraient plus difficilement leur place dans d’autres festivals. Ce sont également des films qui sont pour la plupart non calibrés pour une diffusion dans des circuits traditionnels. Et ce sont donc aussi des films qui ne sont pas faits (pour nombre d’entre eux) avec l’ambition première d’un calibrage pro-festival.
La compétition était partagée entre des films tous très différents : des moyens très classiques (Avant que de tout perdre, One Song, Bumpy Night), des films plus novateurs (Do You Believe in Rapture?, Pour la France), et des films à la lisière des deux (Retenir les ciels).
Crois-tu au ravissement ? Oui.
Un des films de la programmation qui semble le plus audacieux est sans conteste le film d’Émilie Aussel : Do You Believe in Rapture? Le moyen-métrage a dérouté bon nombre de spectateurs et ce n’est pas anodin : il explore une voie nouvelle dans la narration filmée. Le film débute par des interviews filmées de quatre jeunes Marseillais qui expliquent leur rapport à l’amour, au groupe et à leur génération (la réalisatrice connaît très bien ces quatre jeunes qu’elle filme, leur intelligence et leur sincérité sont étonnantes). En parallèle, on voit ce groupe de jeunes vivre et évoluer aux alentours de Marseille. Le début est assez lent, mystérieux et très abstrait (là où une partie du public semble trouver les limites du film). Mais l’éclat du film d’Émilie Aussel arrive un peu plus tard après ces longues phases naturalistes sur ce groupe de jeune, au moment précis où la forme du film mime les objets du conflit narratif. L’ellipse intègre la narration et prend la forme de la béance de l’incommunication entre ces deux jeunes – qui se disputent vraisemblablement pour « rien » (la forme même de l’ellipse). Très souvent au cinéma il y a des « faux problèmes » : on crée des situations complexes pour créer de la narration et ainsi construire des rebondissements scénaristiques, alors que ces mêmes situations ne sont pas « vraisemblables ». À l’opposé de cette médiocrité, les personnages d’Émilie Aussel contiennent tous en eux la conscience qu’il faut être meilleur et plus fort (contrairement à son antithèse absolue, vue à Brive : For Those Whom It’s Always Complicated). À la fin du film, le groupe est assis au bord de la mer, de nuit, et Louise dit : « c’est bizarre, on entend la mer mais on ne la voit pas du tout ». Cette phrase résonne doublement par rapport à ce que nous n’avons pas vu avant : la dispute n’a pas été montrée, mais elle est tout de même là, ancrée dans la confrontation des deux personnages – comme une forme vide indicible. Les quatre visages de ces jeunes deviennent l’emblème d’une génération, panachée de cosmos, de grandeur. Oui, on n’a pas réussi à complètement se comprendre, mais quelque chose de plus grand doit exister. Quelque chose comme la volonté de tirer une génération vers le haut, une génération qui aurait compris que la vraie confrontation qui existe entre les êtres est celle qui consiste à ne pas pouvoir communiquer pleinement, à ne pas communiquer la difficulté d’être soi, la difficulté de devenir soi-même, et qui s’inscrit magnifiquement dans le film dans l’iris de ces quatre yeux. Émilie Aussel évoque ce questionnement abyssal tout en subtilité : comment peut-on être si petit alors que tout est si grand ? La narration tend à l’infini, et nous amène dans son trip extatique dont on se remet difficilement, tellement les idées de cinéma d’Émilie Aussel sont stimulantes, neuves et audacieuses.
Pour la grâce
Le souvenir d’autres films restent prégnant, comme Pour la France de Shanti Masud. La mélancolie du film ressuscite le souvenir en déployant sa grâce, comme s’il lui faisait reprendre vie dans l’instant présent. Cela est incarné par deux actrices : Friedelise Stutte, qui fait penser à Bibi Andersson, et Sigrid Bouaziz, magnifique Lauren Bacall réincarnée. La réalisatrice confie s’inspirer du noir et blanc des années 1950-60, mais tout en lui conférant une modernité et une dimension contemporaine, comme l’objet du film : le souvenir habitera le présent longtemps jusqu’à l’imprégner.
Le Prix du jury France a été remis au très beau Artémis, cœur d’artichaut, un projet très audacieux avec une énergie incroyable. Au film en super 8 entre copines, le film répond par le fantastique. On éloigne les policiers à coups d’éclair dans le ciel et on transforme les hommes en biche parce qu’ils ont été trop entreprenants. Rendre mythologique le quotidien, voilà le projet d’Hubert Viel. Ce projet aborde le même sujet que le film d’Isabelle Prim, Déjeuner avec Gertrude Stein, mais dans un style diamétralement opposé. On y murmure qu’il faut « laissez tomber la mythologie, Athena qui est la sœur de je ne sais quel demi-dieu couche avec un autre, mais je ne sais pas, laissez tomber. » Christophe sort à ce moment-là (empreinte du légendaire) – mais enchaîne avec les images de son actrice principale (la sœur de la réalisatrice), sur un canoë, murmurant «je suis légendaire… je suis légendaire». La mythologie doit se trouver dans la normalité… Mais contrairement au film d’Hubert Viel, à part quelques moments de grâce, le film est tellement abstrait qu’il perd parfois le fil directeur de sa beauté. Dans un registre légèrement différent, Virgil Vernier propose un modèle historique pour tenter de comprendre le parcours de deux strip-teaseuses aujourd’hui venues s’installer à Orléans. Le film donne énormément de pistes extrêmement stimulantes mais semble s’arrêter avant la fin, donnant l’impression que le réalisateur ne termine pas ce qu’il est en train de faire. Laissant le spectateur achever ce qu’il a commencé. C’est bien sûr flatteur, mais pas complètement convaincant.
Voici les films les plus marquants de cette 10e édition du festival du moyen métrage de Brive-la-Gaillarde. Le Grand Prix Europe à été donné au touchant One Song de Catalina Molina qui, avec une mise en scène extrêmement précise et un jeu d’acteur remarquable, pose la question d’un homme confronté à la paternité.