Pour qui connaissait les trois courts métrages réalisés par Louis Garrel, l’affaire était entendue : le triangle amoureux était le cœur de son cinéma, et rien ne semblait pouvoir l’en déloger – et son long métrage ne fait pas exception à la règle. Car, à voir Mes copains, Petit tailleur et La Règle de trois, il est aisé de comprendre que le marivaudage est, pour Louis Garrel, un genre cinématographique en soi : il en avait alors épousé, à trois reprises donc, le langage (léger) et la tonalité (grave) pour décrire des histoires d’amour a priori banales mais qui révélaient, sous leur vernis détaché, quelque chose de notre époque, soit, pour le dire rapidement, une certaine confusion moderne des sentiments. Or la modernité en question s’entichait souvent d’un rapport prégnant au passé, comme pénétrée de toutes parts par un héritage (cinématographique, littéraire, théâtral…) qui permettait au jeune cinéaste de réussir modestement mais joyeusement ses projets courts. En signant à chaque fois un instantané de son époque – et disons-le aussi, de son milieu, il imprégnait ses films courts d’une certaine culture classique (notamment dans leur structure dramatique) qui instillait un trouble formel et sentimental particulièrement émouvant. Pour son premier long métrage, Les Deux Amis, il repart de cette idée en adaptant (avec l’aide de Christophe Honoré au scénario) Musset et ses Caprices de Marianne pour raconter, sur un rythme à la fois détaché et empressé – on y court beaucoup mais souvent pour rien – l’histoire de deux hommes amoureux, malgré eux, de la même fille.
Morne horizon
Cette jeune femme, Mona, vit en semi-liberté : vendeuse de sandwiches le jour à la gare du Nord, recluse en prison la nuit. Elle verra bientôt son quotidien déboussolé par l’arrivée de deux amis : l’un, Clément, est désespérément amoureux d’elle ; l’autre, Abel, fera tout, au début, pour l’aider à conquérir le cœur de sa dulcinée avant de lui aussi tomber sous son charme. Mais ignorant tout de la condition de Mona et voulant la retenir pour une soirée, ils font alors provoquer une cavale à travers Paris qui sera pour chacun un moyen de reconsidérer son rapport à l’autre. Et Les Deux Amis alors de tanguer étrangement entre lieux communs et passages obligés, pour mieux déconstruire ses archétypes dans la scène suivante. Or ce qui faisait la réussite des courts métrages de Louis Garrel, c’était leur rapidité d’exécution et le brio du cinéaste à foncer, avec un certain panache, tête baissée dans l’inconséquence. Surgit ici l’impression manifeste que le film fait, malheureusement avec la même opiniâtreté, du surplace et recule même parfois, comme pour mieux sauter par la suite dans ce qu’il l’intéresse vraiment. On surprend alors Louis Garrel à mettre un peu d’eau dans son vin en déplaçant légèrement l’épicentre de son cinéma : ici, il sera moins question d’amour pur que d’amitié imparfaite. Comme gêné aux entournures, son cinéma considère alors enfin pleinement sa conception de l’amitié qui, enfin débarrassé des contraintes de l’amour, serait la finalité idéale de toute relation. Là réside tout l’éclat du duo burlesque qu’il met en place avec Vincent Macaigne, duo qui tient plus de la bromance américaine que du traditionnel binôme comique dans le cinéma français. Et entre les deux comparses, comme un prétexte à la reconfiguration des affects, circule Mona qui passera successivement entre leurs bras et leurs cœurs, avant de se résoudre à l’inanité d’un choix, quel qu’il soit. Or c’est exactement ce sentiment de renoncement vain qui reste hélas en bouche une fois la cavale achevée, malgré le charme indéniable de l’entreprise. Hormis le fait que les deux amis le restent (en se mentant éhontément une fois de plus) et que Mona retourne docilement en prison, le film semble abdiquer devant sa modeste ambition et ne jamais proposer autre chose que la morne banalité de la vie (i.e. les choses rentrent dans l’ordre) comme seul horizon à ses personnages. Ne reste alors que la joie immense d’avoir vu trois magnifiques acteurs de cinéma (Louis Garrel, Vincent Macaigne et Golshifteh Farahani) prendre du plaisir à jouer. Ce n’est pas rien mais c’est un peu court pour un long métrage.