L’Homme fidèle de Louis Garrel a tout de la chronique parisienne inspirée du marivaudage. Il s’ouvre par un plan sur la Tour Eiffel puis dévoile un immeuble haussmannien dans lequel on découvre Abel (Louis Garrel) qui vit chez sa compagne Marianne (Laetitia Casta). Marianne se sépare d’Abel pour son amant Paul, dont elle est enceinte. D’emblée, le film se distingue par le surjeu des acteurs principaux (notamment la sidération d’Abel face à l’annonce de Marianne) et annonce la « règle de trois » qui régit l’ensemble, ce premier triangle amoureux étant bientôt suivi par un autre : Abel perd de vue Marianne, mais la retrouve huit ans plus tard à l’enterrement de Paul, à l’occasion duquel ils redeviennent amants. C’est sans compter sur Ève (Lily-Rose Depp), la sœur de Paul, amoureuse d’Abel depuis l’enfance et à présent majeure.
L’homme en devenir
L’homme, aussi gauche que fidèle, est mû par une véritable quête de la masculinité. Lui qui désirerait prendre des décisions échoue pourtant à accomplir le moindre geste du quotidien. Qu’elles soient importantes ou triviales, celles-ci reviennent à Marianne : c’est elle qui commande au restaurant à sa place, c’est elle qui l’envoie faire l’amour avec Ève lorsqu’il est hésitant. Il n’a d’ailleurs pas d’endroit à lui, vivant chez l’une ou l’autre femme. L’impuissance d’Abel se manifeste aussi par son déséquilibre, le personnage ne cessant de tomber alors même qu’il aimerait occuper l’espace et trouver sa place dans la vie des deux femmes dont il est amoureux. Une scène vers la fin du film se révèle dans cette perspective assez parlante : Abel, qui part à la recherche de Marianne sur son lieu de travail, court jusqu’à elle et tombe en chemin. La caméra panote et dévoile les talons aiguilles de l’amante qui domine Abel de tout son haut, écrasant presque son visage. D’où le versant comique, la maladresse du personnage flirtant avec le burlesque, registre qui sied parfaitement à Garrel et dans lequel il s’était illustré dans Le Redoutable en 2017. Pour autant, le suremploi des ressorts comiques atteste d’une certaine disproportion et transparaît dans la théâtralité du jeu (l’exagération des expressions et des sentiments) et le ridicule des démarches des acteurs accentuant le moindre de leurs pas. A fortiori, l’écriture du film n’est pas sans quelques maladresses, chaque moment de l’intrigue étant énoncé par les personnages de manière littérale, à l’exemple d’une scène où Ève demande platement à Marianne de lui « donner » Abel (nous pourrions aussi citer la scène où Marianne demande à Abel de faire l’amour avec Ève) et que, cette dernière refusant de répondre, part d’un : « Alors c’est la guerre et on verra bien qui la gagnera » avant de tourner les talons sur un air de marche militaire.
Le mystère féminin
La caractérisation du trio amoureux s’avère avant tout archétypale avec d’un côté Marianne, la femme fatale, et de l’autre Ève, figure de candeur et de pureté – jusque dans le code vestimentaire, les rouges et noirs de Marianne contrastant avec les couleurs claires et chairs d’Ève (d’où les résonances bibliques qui renvoient aussi à la dualité entre la scarlet woman (Marianne) et la Madone (Ève) qui ne sont pas sans rappeler la vision de la féminité à l’ère victorienne). Au centre, pris entre deux feux, Abel, l’homme innocent, fidèle et bafoué. Car même Ève finit par le tromper et donc, aux yeux d’Abel, par se pervertir, devenant une figure aussi fourbe que Marianne. Le cinéaste n’évite pas le sermon voire un certain sexisme, fustigeant les femmes qui l’entourent parce qu’elles s’avèrent infidèles, contrairement à lui. L’écriture du personnage de Marianne se révèle d’ailleurs assez problématique car si le cinéaste désire en faire une figure indépendante et affranchie du sexe opposé, elle est sans cesse décriée (par Abel, Joseph et Ève mais aussi par des personnages secondaires) comme une personnalité manipulatrice. Ainsi, le film entretient un mystère (de l’ordre du « mystère féminin ») en ménageant le doute sur ses actions : Joseph, l’enfant de Marianne, part du principe que parce que sa mère a des amants, elle aurait assassiné Paul.
On peut toutefois se demander si L’Homme fidèle ne relève pas d’une forme d’autocritique sur l’incapacité à comprendre les femmes et à être aimées d’elles (c’est tout l’enjeu du personnage d’Abel) et si ainsi, par une forme d’introspection, le cinéaste ne verse pas dans l’autodérision. Cette autocritique, fonctionnant sur une mise en miroir, offre des parallèles intéressants entre Abel et Joseph, ce dernier cherchant aussi à comprendre le fonctionnement de ceux qui l’entourent (dans un rapport pervers, enregistrant son entourage pendant leurs ébats sexuels), ce pourquoi Abel finit par lui confier : « J’ai été comme toi, moi aussi. » Une belle scène, vers la fin, montre ce que le long-métrage peut offrir de meilleur : Joseph sort de l’école, Abel croise son regard. Le temps s’arrête et sans dire un mot, adulte et enfant se comprennent, tous deux perdus dans un environnement qui leur échappe.