À peine sorti des Golden Globes, où il a remporté le prestigieux duo des prix du meilleur réalisateur pour Alexander Payne, et du meilleur acteur pour George Clooney, le nouveau film du réalisateur de Sideways arrive en France. Nouveau film ? Les spectateurs qui se souviennent de son précédent long métrage auront pourtant le sentiment tenace d’avancer en terrain connu. Heureusement, dans le cinéma d’Alexander Payne, il s’agit avant tout d’aller au-delà du superficiel.
L’heure est à la surenchère explicative : après le sommaire symbolique du Melancholia de Lars von Trier, voici le préambule de The Descendants, où le personnage principal interprété par George Clooney nous présente par le menu tout l’enjeu du film. Puisqu’il n’est pas question d’en faire mystère, voici l’enjeu en question : vivre à Hawaï, c’est bien joli, mais ça n’empêche pas d’être frappé par le malheur. Même lorsqu’on porte le régalien patronyme de Matthew King, riche avocat foncier qui voit sa femme avoir un accident qui la plonge dans le coma. D’autant qu’à cette occasion, il apprendra qu’elle avait un amant…
Voilà qui, suivant les canons hollywoodiens, promet une chute d’autant plus vertigineuse que le point de départ de notre personnage principal est élevé, une charge de pathos brutale, une morale efficace et simpliste… Alexander Payne, heureusement, maintient la barre de son cinéma : tout, dans The Descendants, n’est que finesse, subtilité, demi-teinte, au gré d’une galerie de portraits humains plaqués sur une mise en scène infiniment consciente de l’importance de son décor. Exactement comme Sideways, qui lui aussi choisissait un personnage en perte de repères, pour lui faire suivre un chemin ré-initiatique au fil de paysages splendides, et magnifiés par une mise en scène qui ne cessaient de les prendre en compte.
Le propos d’Alexander Payne reste donc formellement le même. Du côté des acteurs : Paul Giamatti, dans Sideways, collait remarquablement à l’univers sans absolu, intellectuellement stimulant et exigeant du réalisateur. George Clooney n’avait, jusque là, pas eu à son actif de grands rôles dramatiques, de ceux qui lui auraient permis de se départir de son image de bouffon sympathique, perpétuellement dans le second degré. Il y a fort à parier qu’Alexander Payne joue de cette image publique pour accentuer le contraste entre le Clooney public et son Matthew King. Comme, d’ailleurs, il joue sur l’image idéalisée d’Hawaï – il la renforce même dans son préambule et tout au long du film – pour renforcer l’impression de décalage entre le décor et la tragédie qui s’y déroule. Clooney, quant à lui, trouve dans le monde d’Alexander Payne, dans son discours qui ne verse jamais totalement dans un extrême ou un autre, l’opportunité de construire enfin un rôle dans lequel il fait ses preuves.
Car, il en faut, du talent, pour parvenir à ne jamais tomber dans l’excès, ne jamais prendre parti avec violence : autant Alexander Payne que George Clooney y parviennent – sans oublier le reste du casting, très bien dirigé, avec en tête Shailene Woodley. Il en résulte un casting aux résonances très humaines, étonnantes, qui laisse le spectateur interdit, lui que l’on avait habitué à pouvoir se fixer sur des comportements outranciers, héroïques ou monstrueux. Voilà qui semble résumer le discours d’Alexander Payne : le désir de peindre une humanité dont l’infinité de nuances déconcerte, de se confronter au réel via un médium qui, par essence, est tout sauf réel, et qui possède, dans ce cas précis, un lyrisme véritable. Voilà un paradoxe indéfinissable, mais qui résume l’œuvre de Payne : d’un discours poétique, faire sortir, comprendre le réel ; à partir d’une suite ininterrompue d’images, de personnages et de mots nuancés ; susciter un sentiment d’absolu.