Le début de Bird People pourrait être celui de Gare du Nord de Claire Simon. Les plans larges exploitent la puissance éminemment cinématographique de la gare, son flot de passagers et les couloirs, passerelles, escaliers qui les relient. Dans le RER A, une série de portraits isole des voyageurs anonymes en nous faisant pénétrer dans leurs pensées. Peuplées de calculs et de raisonnements, ces réflexions intimes sont le pendant abstrait de ce qui nous ont montré les plans précédents : pendant que nos contemporains traversent les espaces urbains pour être transportés d’une gare à une autre, leur esprit est occupé par une circulation tout aussi dense de ramifications de pensées.
Bienvenue dans la solitude moderne, donc, où Audrey, jeune fille gracile et solitaire, a abandonné ses études pour son petit boulot de femme de chambre dans un hôtel de Roissy. RER, bus, marche, elle passe, calcule-t-elle, quarante heures par semaines dans les transports. Elle croise parfois le chemin de Gary Newman, cadre américain qui passe quelques heures à Paris pour régler les détails d’un important contrat avant de prendre l’avion pour Dubaï.
Le nom du personnage masculin n’est bien entendu pas anodin, lui qui s’apprête à bouleverser son existence, pas plus que l’uniforme noir et blanc d’Audrey qui lui donne l’étonnant plumage d’une pie. Ces deux-là ne se connaissent pas mais semblent pourtant reliés par ce même paradoxe : leur mobilité perpétuelle semble les enfermer.
Comme dans Cat People (La Féline) de Jacques Tourneur où les félins rôdent autour de l’héroïne qui se sent possédée, la présence insistante et récurrente de moineaux sur le chemin d’Audrey laisse entrevoir un lien de contamination d’une espèce à l’autre. Pourtant, l’animalité n’est pas ici synonyme de la bestialité du désir comme c’était le cas pour Simone Simon (ni bien entendu allégorie de sauvagerie comme dans le film navrant de Damián Szifrón en compétition officielle), mais d’un retour à l’état de nature.
Après avoir embrassé l’immensité du décor des infrastructures créées par l’homme, la caméra épouse le regard et le mouvement d’un moineau. L’enjeu du déplacement n’est dès lors plus d’être transporté d’un point à un autre par un train ou un avion, mais simplement de réapprivoiser le geste du mouvement, d’éprouver les trajectoires, de profiter du déplacement pour observer le monde, et non pour entrer en soi même. La caméra, libérée du plan fixe, décrit des arabesques sophistiquées permises par la grue. L’immensité du décor donne alors toute sa mesure, confrontée à la petitesse du passereau qui survole les pistes d’atterrissage ou s’engouffre dans les corridors d’un terminal.
Mais le plaisir du mouvement pour lui-même trouve également son épanouissement dans la représentation de ses stases. Alors qu’un aquarelliste japonais offre à l’oiseau de quoi se nourrir, le moineau, en remerciement, vient prendre la pose face au dessinateur.
Comme le faisaient le physiologiste Étienne-Jules Marey ou le photographe Eadweard Muybridge qui utilisaient des prototypes de caméra en vue d’étudier le mouvement animal, Pascale Ferran décompose le mouvement de l’oiseau et fige l’image pour faire voisiner un récit sur la modernité des moyens de communication avec le rappel de l’étymologie du terme cinématographe : écrire le mouvement.