« Les promesses n’engagent que ceux qui les croient » : la jolie phrase prêtée à Charles Pasqua résume en quelques mots une culture politico-médiatique en forme de miroir aux alouettes. Il n’y a qu’un pas à faire pour l’appliquer au cinéma, et Luc Besson nous tient la main : après tout, le poupon réalisateur n’avait-il pas annoncé vouloir s’arrêter à son dixième film ? Un Arthur après l’autre, une Adèle Blanc-Sec nous ont bien détrompés… Comment ? Vous dites ? « Ce n’est pas du cinéma » ? Ah, oui, en effet. Au temps pour moi.
Cela dit, à quoi s’attendre de la part de l’inventeur des « objets gentils » ? Presque antonyme de toute création artistique, ce concept évoque la main dans le seau de pop-corn, le « slurp » final et navré venu du fond du tonneau à soda via la paille, la fesse carrée dans le moelleux du siège, et surtout le cerveau disponible cher aux anciens dirigeants de TF1. Ah, nous voilà revenus à la vieille opposition entre le critique snob parisianiste et le cinéaste populaire. Entre celui qui s’inquiète des questions de forme, de discours, et celui qui s’occupe des questions de pur plaisir. Antinomique, donc.
Eh bien, chers lectrices-et-lecteurs, il me faut éventer un secret : ce critique hautain a, lui aussi, une sensibilité au plaisir. Voyez ce fantasticophile qui ne jure que par La Chute de la maison Usher de Buñuel et Epstein, qui estime que le dernier réalisateur digne de ce nom était Méliès (et encore, seulement dans ses premiers temps) – eh bien, croyez-le ou non, il peut lui arriver de ressentir un plaisir sans mélange, instinctif – devant un Princess Bride, mettons. S’affronter donc à un réalisateur profondément, consciemment estampillé « plaisir » est une véritable gageure, une épreuve – et si, après tout, on aimait ça ?
Avec Adèle Blanc-Sec, le danger était grand. Luc Besson, donc, avec le concours de la superbe saga de Jacques Tardi. Pourtant, dès les premières images, on se rend compte que quelque chose ne va pas. Les filtres de couleur exceptés, nous voici précipités en plein Amélie Poulain 1910, avec les mêmes procédés narratifs, mais sans le talent burlesque du Jean-Pierre Jeunet d’alors. Et le récit s’emballe. Voilà que défilent à l’écran flics, journalistes, explorateurs, amoureux slaves, ptérodactyles, chasseurs, président de la République, petits roquets, moutons, spirites, momies et bourreaux. Confiez un tel catalogue à Joe Dante, vous aurez une merveille – confiez la même chose à Besson : vous n’aurez rien.
Le rythme du récit est précis : pas une séquence supérieure à deux minutes, et au moins un gag potache par séquence. Fertile en hommages / reprises pour le moins appuyés (avec une mention spéciale à Mathieu Amalric, parfaitement ridicule dans son personnage repris du René Belloq des Aventuriers de l’arche perdue), le film se veut conçu spécialement pour ne jamais susciter l’ennui. Verdict : c’est raté. On assiste avec circonspection au déroulement du grand huit – train fantôme que Besson semble avoir conjuré pour lui tout seul – comme si le réalisateur, qui semble retombé en enfance depuis les Arthur, avait décidé de se construire à son seul usage un bon gros jouet sorti de l’univers de Tardi.
Est-ce ainsi que l’on fait du cinéma ? Il en va de l’œuvre de Michael Bay comme de celle de Luc Besson : plus on met d’argent dans la production, moins il semble qu’un moindre tempérament artistique soit présent. Comme dans les Transformers, l’amusement du réalisateur semble la seule constante – et si Besson s’amuse, tout le monde devrait s’amuser avec lui, non ? Non.
Car, pour qu’Adèle Blanc-Sec suscitât le moindre intérêt, il aurait fallu que quelqu’un y crût, voulût donner corps à cette ribambelle glacée de sketchs sans âme. Mais Louise Bourgoin, qui fait sans doute de son mieux, surjoue et livre une performance de poissonnière, tandis que Besson lui-même semble avoir vraiment cessé de penser son cinéma. Parfaitement content d’aligner de jolies images sorties de sa vision de l’univers de Tardi, le réalisateur ne se pose aucune question. Mais il serait peut-être temps que Luc Besson se rende compte que de bonnes idées (ici tout de même passablement dévoyées) ne font pas seules un film, non plus qu’un budget conséquent. Il faudrait également un peu de talent, et d’implication de la part du réalisateur. Et de tout cela, Besson et son film en manquent cruellement.