Si l’on devait résumer en une opposition les différences entre le cinéma de genre des années 1980 et le cinéma de genre actuel, il s’agirait simplement de dire : à cette époque là, les films et ceux qui travaillaient dessus savaient ne pas se prendre au sérieux – une ironie et une modestie qui font aujourd’hui cruellement défaut. Film ultra culte des années 1980, Princess Bride ressort aujourd’hui au cinéma, pour le plus grand plaisir de ceux qui ont été bercés par les grands films de la fantaisie 80’s et, espérons-le, par une nouvelle génération de fans en devenir.
Les années 1980 ont eu leur lot de films appelés à devenir cultes, véritables réservoirs à citations et à situations narratives. Dans ce domaine, le sous-genre de la fantaisie a accouché de véritables classiques, entre le superbement réussi (Dark Crystal de Jim Henson, L’Histoire sans fin de Wolfgang Petersen, Legend de Ridley Scott…) et … le moins bon (Willow de Ron Howard, Labyrinthe…) Princess Bride possède une place bien particulière dans le genre, tout d’abord parce que le film est une suite presque totalement ininterrompue de situations rocambolesques et héroïques et de citations instantanément cultes – une caractéristique de l’époque, ici considérablement amplifiée. Mais également parce qu’il s’agit d’une rencontre entre un scénariste (William Goldman, derrière notamment Butch Cassidy et le Kid) et un réalisateur (Rob Reiner, alors au début de sa carrière).
Goldman est l’auteur du livre à l’origine de Princess Bride, au titre homonyme. Relativement similaire à la trame déclinée dans le film, le livre diffère cependant d’une façon importante : l’auteur s’y implique personnellement, faisant tout le sel de l’ironie tendre qui imprègne le livre. Enfant, William Goldman s’est donc vu, selon ce qu’il raconte dans le livre, victime d’une attaque de maladie grave, qui l’a laissé, jeune garçon furieux et frustré de ne pouvoir quitter le lit, à passer les plus belles journées de cette période alité. Et ce jusqu’au moment où son père vint lui faire découvrir, dans une situation telle que celle qui lie Peter Falk et Fred Savage dans le film, le conte de Princess Bride (« La Princesse promise »). Totalement émerveillé, le jeune garçon gardera un souvenir ébloui du conte. Des années plus tard, dans une situation dont nous laisseront le bonheur de la découverte aux heureux lecteurs du livre, Goldman découvre que le livre que lui a lu son père est… long, ennuyeux, et pas du tout comme dans son souvenir. Il décidera donc de faire à son lectorat ce que son père fit pour lui, raconter une nouvelle fois l’histoire, telle que susceptible d’enchanter un jeune garçon, en caviardant le récit de ses propres remarques d’adulte lassé.
On est bien loin, avec le film de Rob Reiner, du conte originel de Morgenstern : de la réécriture subtilement ironique de Goldman, le film a encore dû différer. Point, ou si peu, de narrateur lassé et cynique dans le film : Peter Falk campe un grand-père philosophe, qui subit avec sagesse, et une certaine cruauté d’adulte, les remarques de son petit-fils pour qui un conte « où on s’embrasse » vaut bien moins que ses jeux vidéo. Mais ce qui lie le film au livre, comme le livre au conte, c’est avant tout une conscience aiguë des nécessités de la narration – littéraire pour Goldman, cinématographique pour Reiner.
À l’époque de Princess Bride, Rob Reiner est encore un réalisateur prometteur, certainement parce qu’il est en phase avec son époque. Spinal Tap, Stand by Me ou Quand Harry rencontre Sally restent de grands moments de sa carrière, avant qu’il ne descende dans le misérabilisme benêt et l’absence de talent de ses derniers films (La rumeur court… et Sans plus attendre notamment). Le coup de génie de Reiner sur Princess Bride est ici d’avoir compris que ce qui nourrissait le livre de Goldman est avant tout à la fois un univers référentiel fort acquis dans ses jeunes années, et une conscience adulte de la trahison que la fin de l’enfance a apporté à ces références. C’est donc avec force renvois vers l’univers des films de capes et d’épées de l’âge d’or d’Hollywood (le Robin des Bois avec Errol Flynn en tout premier lieu) que Reiner va construire son film. Cependant, ni lui, ni ses acteurs ne sont dupes de ces références : à l’exception de Robin Wright (qui semble parfaitement convaincue dans le rôle de la princesse un brin cruche tout de même), tous les acteurs jouent avec la conscience aiguë du caractère parodique de leurs rôles (Mandy Patinkin dans le rôle d’Inigo Montoya, Cary Elwes dans celui de Westley et Chris Sarandon dans le rôle d’Humperdinck, notamment…).
Mais se moquer d’un genre, se moquer d’un type de récit n’est pas pour autant le dénigrer : c’est ce qu’avaient compris Gene Wilder et Mel Brooks pour ce qui restera certainement le meilleur film de ce dernier, Frankenstein Junior. Ici, le rapport entre le spectateur/lecteur jeune et sa contrepartie âgé, lassée fonctionne autant pour la figure du scénariste que pour celle du spectateur. Reiner semble nous dire : voyez comme, dans les films du temps jadis, il nous était facile et agréable de nous laisser emporter par les Tarzan, les Robin des Bois, les Ivanhoë… Princess Bride est, finalement, un grand film nostalgique. Nostalgique de l’époque où le rapport entre le spectateur et l’écran était plus qu’une simple relation commerciale, où l’on pouvait se permettre de croire à ce qui était projeté – Woody Allen ne dit pas autre chose dans La Rose pourpre du Caire. Nostalgique des héros « larger than life », du temps où les acteurs étaient, au sens propre du terme, des géants, emprisonnés sur l’écran.
Avoir découvert Princess Bride à l’époque de sa sortie, n’avoir pas eu l’occasion de le regarder avec des yeux déjà lassés, déjà cyniques, est un bonheur incommensurable – car c’est certainement la façon dont le film fait le mieux passer son message d’amour du cinéma. Le découvrir aujourd’hui, pour un public saturé de non-cinéma hautain, suffisant et se voulant crédible (300, Transformers et la plupart des films de genre…) sera-t-il une expérience utile ? Répondre à cette question est bien difficile pour qui a déjà choisi son camp.
Princess Bride commence sur les images du jeu vidéo Hardball – un jeu un tantinet plus désuet que ceux d’aujourd’hui. Mais Rob Reiner désigne l’ennemi de front dès le départ : la civilisation pré-adolescente du jeu vidéo. À la fin, comme dans tout bon conte, les gentils gagnent, et la magie du cinéma et du conte triomphe des émotions factices du jeu vidéo. Aujourd’hui, celui-ci a évolué, et c’est certainement au « cinéma virtuel » (voir les deux films cités au paragraphe précédent) que devra s’affronter Princess Bride. Gageons que les plus jeunes gagneront véritablement à découvrir ce Princess Bride qui vaut tous les Narnia, et qui pourra, espérons-le, faire d’eux des amoureux du cinéma et de la littérature, comme nous le devînmes en notre temps. Et, peut-être, leurs parents avec eux.