On réduit parfois un peu vite la notion d’auteur au rapport qui se noue entre, d’un côté, la filmographie d’un réalisateur, et de l’autre une ou des « thématiques » qui se voi(en)t reconduite(s) de film en film. Si l’on s’en tient à cette définition, qui privilégie les marottes des cinéastes à leur style, alors Rian Johnson serait un auteur, puisque de Looper à Star Wars : Les Derniers Jedi, jusqu’à ce À couteaux tirés, se pose un problème analogue : celui de la gestion d’un héritage, qu’il faut envisager d’au moins deux manières. La première se joue à un niveau strictement diégétique : les héros sont confrontés à la question de savoir quoi faire d’un legs qui les écrase — ici, littéralement, Marta, une jeune infirmière, se voit désignée à sa grande surprise héritière de la fortune d’un vieil écrivain mort dans des circonstances suspectes et qui a choisi de déshériter ses propres enfants peu de temps avant son décès. La deuxième concerne la manière dont les films investissent un héritage qui serait cette fois cinématographique — La Jetée pour Looper, la mythologie Star Wars pour Les Derniers Jedi, et le genre rabattu du Whodunit, façon Cluedo, pour À couteaux tirés.
Ce qui frappe ici est l’ambivalence de l’approche, qui embrasse la dynamique du genre tout en investissant une dimension ironique ne versant jamais tout à fait non plus dans la parodie. Ce flottement étonne d’autant plus que le film se rêve manifestement comme l’écrin d’une allégorie très sérieuse, brossée de manière supposément fine, sans l’air d’y toucher : une peinture de l’Amérique trumpienne (sans que l’on entende son nom, Trump y est très clairement évoqué), où une infirmière sud-américaine prend le dessus sur une petite bourgeoisie WASP. C’est d’ailleurs l’idée assez lourde du casting : Marta y est jouée par Ana de Armas, qui fait figure d’intruse parmi les stars convoquées pour jouer les membres de la famille (Jamie Lee Curtis, Don Johnson, Chris Evans, Toni Collette, Michael Shannon, Christopher Plummer) et l’inspecteur chargée de l’enquête (Daniel Craig). À couteaux tirés ménage ainsi un constant grand écart qui n’ouvre sur rien : c’est un film réactivant une mécanique rabattue, mais qui joue de ce cadre suranné ; un film vain, qui semble assumer sa légèreté, mais finit par abriter un discours dont la lourdeur reste sur l’estomac ; un film de stars dont le personnage principal se révèle être la figure la moins célèbre ; un film mu par des twists narratifs et des retournements de ton, mais qui ne brasse que du vide.