Nouvelle sensation du cinéma indépendant américain depuis sa projection à Sundance, croulant sous les éloges depuis son triomphe au Festival du Film américain de Deauville en septembre (trois récompenses : Prix du Jury, Prix de la Critique et Prix de la Révélation), A Ghost Story nous divise. Après le retour très enthousiaste de la projection au Festival de la Roche-sur-Yon, un second visionnage met aussi en évidence un petit objet cinématographique, creux et poseur, qui se fonde sur un irritant maniérisme enjôleur : cadre 4/3 arrondi dans les angles, image satinée et lumière diffuse, tonalités électroniques étouffées. Derrière tous ces gadgets, le réalisateur David Lowery (à la filmographie particulièrement éclectique, de l’ersatz malickien Les Amants du Texas au grand spectacle Peter et Elliott le Dragon) cherche son grand film grave, où le mystère du deuil s’entremêlerait à celui du temps qui passe. Soit un couple essentialisé, C (l’homme, joué par Casey Affleck) et M (la femme, jouée par Rooney Mara), qui vit dans une petite maison de pionnier dans le sud des Etats-Unis. Quand son mari se tue dans un accident de voiture, M se cloître dans sa demeure et dans son chagrin. Elle ne peut pas voir que le fantôme de C hante désormais les lieux et traîne sa détresse sous un grand drap blanc, percé de deux trous noirs pour les yeux. La représentation enfantine du fantôme ici est un leurre : rien dans le film n’est naïf, tout converge plutôt vers une solennité des plus ridicules.
Il y avait pourtant une bonne idée au cœur de A Ghost Story. En renversant la question de l’impossible deuil – qui affecte plus le mort que la vivante, rapidement libérée – Lowery effleure la question de la mémoire d’un lieu. Plutôt, il en effleure les enjeux tant la séquence de boucle temporelle dans la dernière partie du film qui prend en charge le sujet, le fait avec une lourdeur pachydermique : à force d’attendre un signe de sa bien-aimée, le spectre assiste impuissant à son déménagement, à l’arrivée de nouveaux habitants puis, in fine, à la destruction du bâtiment, englouti par une mégalopole ultra-moderne. Commence alors une torsion chronologique qui l’envoie directement au temps des colons, premiers bâtisseurs de la maison. Le kitsch de cette séquence et l’emballement du montage qui suit (sous son drap, C revoit en accéléré toutes les étapes de la vie de la maison, jusqu’à revenir inévitablement aux images de son couple et de ses regrets) n’ont pas grand-chose à envier à la bêtise de la fin de Mother ! de Darren Aronofsky (sorti également cette année). Les deux films partagent une certaine tendance à la boursoufle métaphysique (le religieux d’un côté, le mystère de l’éternité de l’autre) couplé à un symbolisme de pacotille.
Apple pie
Si Mother ! pouvait se targuer d’une dimension grand-guignol parfois très drôle malgré elle, A Ghost Story est au contraire sclérosé dans son sérieux papal. A trois reprises, Lowery sort de sa botte un long plan fixe en les rêvant chacun « future grande scène culte », de façon bien trop explicite et sans se soucier de leur pure artificialité. Si la première (le réveil du mort sous son drap d’hôpital) et la troisième (un long monologue qui déblatère sur l’extinction nécessaire des êtres) agacent simplement par leur immodestie, la seconde exaspère : on y voit Rooney Mara assise sur le sol de la maison pendant près d’un quart d’heure, dévorer avec les mains une tarte aux pommes pour tenter de noyer sa peine, jusqu’à l’overdose et le vomi. La durée complaisante ici va de pair avec une absence d’incarnation fatale qui abandonnent l’actrice à une performance conceptuelle idiote, incapable de faire ressentir la moindre douleur qui dévore le personnage. Cette séquence est finalement le point le plus saillant de ce cinéma qui se revendique indépendant et se pense philosophe mais n’est qu’une succession d’afféteries chics et bien peu recommandables.