On a par erreur présenté Les Amants du Texas (dont le titre original Ain’t Them Bodies Saints peut se traduire grossièrement par « Ces corps ne sont-ils pas sacrés », version argotique redneck) comme une échappée malickienne, prenant son envol à un point très proche du final de La Balade sauvage, la fin de cavale d’un couple apparenté à Bonnie & Clyde. L’amant, Bob, (Casey Affleck) est mis sous les verrous, et sa promise Ruth (Rooney Mara), enceinte, l’attend sans trop d’espoir. Le temps passant, recluse comme une veuve, élevant son enfant, elle arrondit un peu ses angles, les traits grimaçants de son visage, laisse s’évaporer l’étroitesse bravache de son passé de bandita sudiste. De son côté, Casey Affleck infuse de toute sa fébrile roublardise dans un personnage de bandit fiérot en droite lignée du Robert Ford de L’Assassinat de Jesse James.
Pourtant, toute la beauté de ces Amants tient non pas d’une capacité du récit, ou de la mise en scène, à projeter une simple intrigue de cavale dans un « grand ouvert » mystique et vitaliste – pour résumer grossièrement ce qu’en aurait fait un cinéaste véritablement malickien – mais à faire exactement le contraire, c’est-à-dire à l’envelopper dans la chaude douceur d’un cinéma de genre extrêmement lisible et cousu du fil blanc. Le film de David Lowery est ainsi à la fois une petite chose, un roman de gare, mais accède à l’intérieur de cette considérable limitation – un lieu unique, très peu de personnages, une réalisation d’où rien ne dépasse – à une certaine splendeur du bis, une délicatesse d’écriture sans faux pas.
Son charme tient à sa symétrie délicieusement régulière, composée comme un ballet où les courbes des personnages secondaires se rencontrent et s’équilibrent harmonieusement : reconquérir, protéger, tuer, composent l’essentiel de la gamme de motivations gravitant autour du foyer que Ruth tente de construire en mère célibataire. Affublés qui d’un objet (la voiture de police, la photo abîmée), qui d’un lieu (le general store, la cabane sur la colline), ces desseins transparents s’écrivent chacun en une série de scènes dont l’apport au récit est toujours trop flagrant, trop univoque (l’ultimatum, le pardon, le flirt) ; conférant au film une écriture très utilitaire, faite d’automatismes du pulp, bercée de passions convenues où l’on croque coupablement.
C’est un étrange sentiment que de celui d’aimer en fin de compte le titre d’exploitation française qu’on avait d’abord moqué : Les Amants du Texas, ça ne déborde pas, c’est le nom d’un bouquin trouvé au grenier, d’un vieux roman illustré qui traînait par là. On le boit plus qu’on ne le lit, pour le plaisir de voir s’exercer les forces chimiques de la narration ; la fin résonne ainsi avec la ronde plénitude d’une cadence musicale, où policier, promise, et voleur, achèvent sur un accord parfait leur sonate à trois.