Dès les premières minutes des Amants du Texas – titre français plutôt grotesque, mais on y reviendra –, il faut faire le deuil de l’effet d’annonce monté en épingle ces dernières semaines. Loin, très loin, la largesse romanesque de ce prétendu Bonnie & Clyde malickien, qui s’emprisonne dans une intrigue bien trop ficelée pour laisser le film prendre de l’ampleur, ouvrir le champ à l’énigme, au mythe, à la fureur. Ain’t Them Bodies Saints s’avère une petite chose ; cependant parfaitement capable de nous cueillir. Le premier film de David Lowery (monteur d’Upstream Color qui fut un de nos coups de cœur berlinois cette année) est certainement bien plus à prendre comme un roman de gare, aux frontières du bis. C’est une combinaison de plaisirs coupables, qui commence par le grossier cabotinage d’acteurs dont le talent n’est certes pas à remettre en question. Deux registres très différents de grimaces : Casey Affleck, fébrile et ingénu, dans un lointain cousin de son personnage de Robert Ford, bute contre la fermeté brutale et anorexique de Rooney Mara (à remarquer également un Ben Foster impeccable dans le rôle du chien battu). Les personnages, qui se comptent sur les doigts d’une main, entrent docilement dans une typologie extrêmement lisible, affublés qui d’un objet (la voiture de police, la photo abîmée), qui d’un lieu (le general store, la cabane sur la colline), et poussés par des motivations transparentes et univoques : reconquérir, tuer, protéger, etc. Le film prend l’air d’une vieille bande dessinée. On goûte dans la clarté de l’intrigue à un plaisir du pulp, un appétit enfantin pour l’histoire-jeu, bercée de passions convenues dans lesquelles on croque coupablement.
Il n’y a qu’un pas pour dire qu’Ain’t Them Bodies Saints est fait par dessous la jambe, mais celui-là, on ne le franchira pas. Avec une habileté semblable à celle de Derek Cianfrance, David Lowery fait montre d’un authentique talent dans la bluette, réussissant à baigner son film d’un pouvoir de fascination aux contours savamment diffus. La narration prend une certaine rondeur très musicale, où la parfaite lisibilité des motifs, des fétiches, du parcours des personnages, confère au film une sorte de magnificence dans la complétude, une beauté de l’équilibre, du « tout se passe comme prévu ». Elle n’est pas étrangère à l’unité de lieu employée par Lowery, organisée de façon moins géographique que symbolique : un espace homogène et clos – le village redneck de Meridian, un Texas fantasmé entre wild west et modernité à l’abandon – qui renferme toute l’action, ponctué d’une poignée de lieux clés. La conclusion du film sonne comme un achèvement impeccable, duquel on n’attend pas une surprise mais plutôt l’harmonieuse réalisation d’une cadence musicale, une sonate à trois (le mari destructeur, la femme insondable, l’amant-refuge). Étrange sentiment que de finalement aimer le titre qu’on moquait avant de rentrer dans la salle : Les Amants du Texas, ça ne déborde pas, c’est le nom d’un bouquin trouvé au grenier, d’un vieux roman illustré qui traînait par là, et qu’on boit plus qu’on ne le lit, pour le plaisir de voir les forces chimiques de la narration amener une fin qu’on devine dès le début.