Sous couvert de refaire le film du même nom sorti en 1977, cette nouvelle version des aventures de Peter et de son compagnon Elliott, un dragon vert capable de devenir invisible, lorgne en vérité sur un tout autre long-métrage: E.T. de Steven Spielberg. Soit le récit d’une rencontre, qui advient dans la première (et meilleure) séquence du film: subitement orphelin, le jeune Peter se retrouve seul et perdu dans une forêt avant de tomber sur une créature mirifique qui deviendra son meilleur ami et fondera avec lui un nouveau «home». Moins qu’une figure d’altérité, le dragon s’avérera lui aussi un enfant perdu qui contemple les étoiles dans la mélancolie d’un foyer lointain. Cette mélancolie est double: c’est d’abord celle des personnages, puis celle du film lui-même, qui rêve en regardant le ciel du lyrisme d’Amblin et de son gamin à bicyclette chevauchant la lune. Si le film ne parvient pas à se hisser à la hauteur de son modèle, cette filiation à peine voilée fait toutefois son intérêt, tant sa narration s’appuie sur des figures reconnaissables (enfants émerveillés, êtres qui lèvent la tête vers un point aveugle, adultes à la poursuite d’une entité merveilleuse) pour mieux retourner le récit attendu.
Car les rôles sont ici au fond échangés – ce que pointe indirectement une très belle coïncidence: la créature fantastique s’appelle Elliott, comme le petit garçon du film de Spielberg. Le vrai «E.T.» est plutôt Peter: enfant sauvage, il est étranger au monde des hommes, et l’itinéraire du film consiste justement à le faire revenir à son point de départ – à retrouver un foyer, une famille, en somme à ce qu’il a d’emblée perdu. Si l’idée est émouvante, le film qui en découle l’est hélas beaucoup moins. D’une part parce que ce volet de l’intrigue, qui voit le sauvageon propulsé dans un univers qu’il ne connaît plus, est réduit à une part transitoire de l’intrigue où les deux amis sont séparés par un montage parallèle mettant au même niveau l’apprivoisement de Peter et la poursuite de bûcherons par Elliott. De l’autre, parce que le film se retrouve coincé entre le premier degré de ses intentions et sa nature d’objet postmoderne.
Ni perte ni apprentissage
Ce handicap transparaît notamment dans une scène, située à la fin du film, assez cruelle pour qui voudrait aimer ce conte pour enfants: alors qu’Elliott aperçoit au loin un hélicoptère menaçant, le dragon se retourne vers le garçonnet qui lui répond simplement et avec un certain calme «I know». Il sait, parce que le film existe déjà: l’enfant et le dragon vont devoir se dire adieu. Le déchirement nécessaire mais douloureux du final d’E.T. ne peut se reproduire, car contrairement au petit Elliott du film de Spielberg, dont les joues sont maculées par des larmes mêlant joie et tristesse, Peter sait à l’avance ce qui va se produire. Il n’y a pas d’apprentissage de la perte, d’ailleurs il n’y a pas de perte non plus – l’adieu n’est que passager, ce que confirmera une dernière séquence aussi inutile que regrettable et le remplacement presque à l’identique de la famille initialement brisée. Comme les autres fictions de cette année innervées par l’esprit d’Amblin (le frigide Midnight Special et la tambouille postmoderne de la décevante série Stranger Things), Peter et Elliott le dragon ne regarde que de loin une féerie qui lui est malheureusement étrangère.