The Green Knight prend pour point de départ un poème épique anonyme du XIVe siècle, Sire Gauvain et le Chevalier vert. Un jeune neveu du roi Arthur, Gauvain (Dev Patel), y accepte de relever le défi lancé un jour de Noël par le « chevalier vert » qui donne son titre au film : décapiter d’abord ce mystérieux visiteur, qui ressuscite immédiatement après que Gauvain s’est exécuté, avant de le retrouver l’année suivante dans son antre pour subir à son tour le même sort. Le film est explicitement découpé en sept chapitres, indiqués par des intertitres arborant une typographie gothique presque illisible. Ce résidu de la préciosité qui agaça tant les contempteurs de A Ghost Story contribue à masquer le mouvement plus profond du film, articulé en trois moments dialectiques : la valorisation de l’héroïsme se voit opposer le caractère mortel de toute existence, pour enfin se dépasser dans une nouvelle forme de grandeur, devenue acceptation de cette finitude.
Finitude et gloire
Dans sa première partie, consacrée à la mise en place de l’intrigue et à la première étape du duel, le film s’applique à déconstruire les enjeux traditionnels du récit chevaleresque, en s’appuyant sur le jeu peu assuré de Dev Patel et sur des dialogues qui désacralisent la quête de renom ordinairement associée à l’imaginaire chevaleresque. Ce sont le roi Arthur et Guenièvre qui poussent Gauvain à se mettre en quête d’une gloire dont le désir ne lui est pas naturel, et dont la vanité est soulignée par son amante, Essel (Alicia Vikander) : « Pourquoi toujours la grandeur ? Pourquoi la bonté ne suffit-elle pas ? »
Ces interrogations forment le terreau du deuxième mouvement de The Green Knight : le long et chaotique périple de Gauvain vers la « chapelle verte », où doit se dérouler la seconde étape du duel. Si à une époque où les fables écologiques font recette (Dune, Don’t Look Up…), on pouvait être tenté de voir dans le green du titre une symbolique de cet ordre, David Lowery se montre soucieux de la lisibilité de son film, et préfère vendre la mèche : ce vert ne renvoie pas au vivant et au combat pour sa survie, mais au contraire au pourrissement – d’où son voisinage avec le gris. Sous les atours de cette couleur, Lowery retrouve donc le motif, central dans A Ghost Story, du mouvement général de dépérissement auquel sont soumis tous les êtres. On songe en particulier aux quelques longs plans-séquence de la seconde partie où Lowery, comme dans A Ghost Story, s’amuse à ouvrir des failles temporelles qui voient la vie côtoyer la mort : à témoin, ce double panoramique à 360 degrés où la caméra s’éloigne du corps de Gauvain, attaché à un arbre, pour filmer la nature environnante puis soudainement le même corps devenu cadavre, avant de repartir dans l’autre direction pour le retrouver de nouveau en vie.
Dialectique de la grandeur chevaleresque
La troisième partie – la confrontation finale entre les deux personnages dans la « chapelle verte » – renoue plus franchement avec la question de la grandeur chevaleresque que posait la première, tout en l’articulant avec la symbolique de la mort que la deuxième a clairement mise au jour. Le vert n’est désormais plus associé au gris, mais au jaune, ce qui lui donne un nouvel éclat et confère une aura enchanteresse au chevalier éponyme, qui devient figure de sagesse et non plus de malheur. Il inculque alors à Gauvain la morale qui vient boucler ce paradoxal récit (à la fois arthurien par l’imaginaire qu’il convoque, et anti-chevaleresque par l’éthique qui l’anime) : dans un monde où tout ne fait que retourner au néant, le courage et la grandeur ne consistent pas à braver la mort, mais à l’accepter.
Si l’efficacité de la narration et du montage de ce dernier segment permettent au film de se conclure sur une note plutôt convaincante, on peut toutefois regretter que David Lowery peine à débarrasser son cinéma des scories qui le cantonnent à une certaine superficialité : à plusieurs reprises, il semble se désintéresser de son récit pour chercher dans l’univers arthurien le prétexte à la réalisation de tableaux ou de tours de force techniques certes parfois impressionnants, mais souvent gratuits et inégalement rattachés à la dynamique générale du film. Il y a quelque chose d’ironique à voir le cinéaste se poser en moraliste enjoignant son personnage à abandonner son désir de grandeur, quand lui-même recourt à des effets lourdement démonstratifs pour forcer l’admiration.