Après Enquête sur un scandale d’État (2022), Thierry De Peretti revient dans À son image à sa Corse natale, en adaptant le livre éponyme de Jérôme Ferrari qui retrace la vie d’une jeune photographe, Antonia (Clara-Maria Laredo), et celle de ses camarades d’enfance, sur fond d’expansion des organisations indépendantistes du FLNC dans les années 1980 et 1990. Se présentant comme un long flashback (le récit prend pour point de départ le décès de l’héroïne dans un accident), le film offre un contrepoint à Une Vie violente (2017), qui mettait en scène des événement similaires, en adoptant le point de vue d’Antonia, à la fois photographe et femme confrontée à un mouvement majoritairement masculin. À son image ouvre un versant plus lyrique et romanesque dans le cinéma de De Peretti : si Enquête… puisait notamment dans l’héritage des films politiques transalpins des années 1970 (en particulier Salvatore Giuliano et Main basse sur la ville de Francesco Rosi), celui-ci se rapproche davantage d’une autre geste plus tragique du cinéma italien, qui entend capter, à travers le portrait d’une groupe de jeunes gens, la fin d’une époque d’insouciance, percutée par la violence de la réalité politique.
Les premières scènes de liesse collective sont ainsi progressivement interrompues par l’irruption d’images d’archives documentant les initiatives autonomistes ; d’abord perçues à travers la télévision, elles interviennent ensuite plein cadre ou par le dévoilement de leur coulisses, lorsqu’Antonia est dépêchée par un journal local pour photographier certaines prises de parole. Le dispositif de De Peretti retranscrit de la sorte la difficulté croissante du personnage à cloisonner sa propre histoire de celle des nationalistes. La frontière s’estompe peu à peu à mesure que le mouvement gagne en ampleur et émerge de la clandestinité : les militants cagoulés finissent par commettre leurs assassinats à visages découverts, et les innocents pique-niques entre amis abritent bientôt de graves réunions de crises consacrées à l’avenir de la lutte. De la même manière, la voix off, assurée par Simon (Marc’Antonu Mozziconacci), un ami activiste d’Antonia, superpose sur les panoramas solaires de la Corse le récit du combat qui l’agite. Baigné de la sorte d’un parfum doux-amer de nostalgie, À son image parvient à cultiver, entre portrait intime, histoire politique et fresque mélancolique, une forme d’ampleur assez discrète, mais pas moins admirable.
Double cadrage
Le caractère bicéphale du récit trouve un écho dans le point de vue adopté par De Peretti. De prime abord, il semble se recouper avec celui d’Antonia – le cinéaste campe d’ailleurs à l’écran le parrain de la jeune femme, qui lui a offert son premier appareil photo. La mise en scène prolonge régulièrement le geste de la photoreporter : tandis qu’Antonia évolue souvent en bordure des plans, pour trouver le bon angle de prise de vue, la caméra se tient généralement aussi à distance, recadrant l’action via de légers zooms ou des travellings latéraux. De la même manière qu’Enquête… déviait de la ligne du thriller d’investigation pour s’intéresser au traitement médiatique de l’affaire, De Peretti adopte in fine un angle de biais sur la pratique d’Antonia. En témoigne un long plan-séquence dans lequel la jeune femme tente d’immortaliser Pascal (Louis Starace), son petit ami impliqué dans les instances du FLNC, alors qu’il téléphone à des camarades : si la caméra danse autour de lui comme l’appareil de la photographe, cette dernière ne cesse d’apparaître fugacement dans le plan, jusqu’à finir par en occuper le centre lorsqu’elle pose à son tour aux côtés de son compagnon. La scène a beau dépeindre la tentative d’Antonia de capter au mieux la lutte qui germe sous ses yeux, elle traduit dans le même temps l’impossibilité pour la jeune femme de s’extraire de l’histoire qu’elle documente.
Il est ainsi question, dans les plis de la mise en scène, de trouver le bon cadrage pour naviguer entre le récit politique et le drame personnel. La relation nouée entre ces deux pôles resurgit d’ailleurs au détour des échanges avec les autres journalistes de Corse-Matin où travaille Antonia – un premier lui conseille de faire fi de ses états d’âme au profit d’un professionnalisme détaché, quand son patron refuse qu’elle abandonne le champ du reportage de proximité pour s’attaquer aux sujets d’ampleur nationale. Elle finira par partir quelque temps à Belgrade en pleines guerres d’ex-Yougoslavie, comme pour faire enfin face à un conflit éclatant au grand jour. Si ces séquences s’avèrent peut-être les moins inspirées, c’est que l’on y perd momentanément l’équilibre fertile sur lequel le film repose par ailleurs et que retranscrivent ses cadres à la fois précis et flottants. Comme l’énonce – certes de façon un peu didactique – la voix off dans sa dernière intervention, ce sont finalement les photos qu’Antonia a prises de ses amis qui constituent les témoignages les plus justes d’un temps de guerre, aussi étrangement quotidien soit-il, plutôt que ses clichés de Yougoslavie qu’elle ne publiera jamais. Se trouve à cet endroit la belle idée tragique à travers laquelle se conjuguent les différentes facettes, intimes et historiques, composant À son image : chaque Corse possède, dans ses albums de familles, de petits instantanés du front.