Comédien originaire de Corse, Thierry de Peretti a réalisé son premier long métrage en le plantant dans le contexte bien typé de cette île, celui dont les médias font régulièrement leurs choux gras avec trop de facilité. Il y a de quoi craindre une tentative de film sur la Corse, sur les idées véhiculées à son sujet (l’insularité, le traditionalisme, la violence) — et on sait que les films se piquant de prendre une minorité pour sujet sont rarement bien avisés, menacés d’accréditer sournoisement la discrimination du regard à leur égard. Heureusement, ces Apaches savent prendre d’autres hauteurs.
Non que le film échappe tout à fait à la tentation d’une représentation communautaire légèrement ostentatoire. On décèle bien, çà et là, quelques scènes un peu trop écrites, un peu trop visiblement pensées dans ce but d’illustration : une transaction rappelant qu’ici on préfère contourner la loi, des éclats d’agressivité verbale entre communautés (autochtones contre issus de l’immigration), voire quelques expressions pittoresques comme « j’aurais le temps de tuer un âne à coups de figues molles » (avec l’accent), le tout ponctué par un plan final assez lourd tentant de présenter, comme un reflet au spectateur, l’image d’une Corse rongée par l’argent. Mais ces tics s’avèrent plutôt marginaux dans une approche moins évidente, brouillant soigneusement les pistes pour ce qu’on pourrait croire facilement acquis (la violence imminente, son association apparemment inexorable à ce territoire) sorte des ornières qu’on lui a attribuées, se disperse et se dilue pour déjouer toute tentative de morale facile, dessinant une complexité plus fidèle à un réel qui se moque des types.
Dispersion
Il faut voir comment, dans le récit, l’enchaînement d’actes propices à la violence (physique, mais aussi sociale) passe de groupe en groupe, de manière non-linéaire, créant parfois des embranchements au gré de la dispersion des effets et des groupes, de sorte que si ceux-ci peuvent se reconstituer, ils ne peuvent alors que constater le mal à l’œuvre. Le film s’ouvre sur une riche maison avec piscine, qu’un père et son fils entretiennent en l’absence du propriétaire parisien ; le fils a trouvé une faille dans la sécurité, au désarroi du père : première scission de groupe. Dès le soir, le fils ramène un groupe de copains dans la baraque pour faire la bringue ; même sur ce terrain réduit, la bande se scinde, chacun suivant ses intérêts. Ils repartent en emportant du matériel, mais certaines pièces, plus précieuses que le reste, seront laissées hors champ, prises en douce par quelques-uns de la bande à l’insu des autres : on en apprendra plus tard la nature, alors que les effets de leur disparition ont commencé à se répercuter sur une région au-delà de cette limite, d’un groupe à l’autre en suivant ces personnages et en en contaminant d’autres, quitte à revenir sur eux tel un boomerang. Le film suit ainsi en alternance les ramifications d’événements créées par les liens de causalité, les séparations et les réunions des personnages — la bande de copains se reconstituera partiellement, mais dans un contexte devenu beaucoup plus délétère et tragique.
Si on peut pressentir qui sera victime de ce drame, Les Apaches réussit à ne pas rejoindre la légion des films exploitant la violence pour se constituer un discours préconçu. Certes, celle-ci, et la mort qui l’accompagne, restent la conséquence la plus probable. Cependant, la trajectoire tortueuse qui y mène et qui en découle (car cette violence n’est pas exactement une fin) en déjoue non seulement l’apparence d’inéluctabilité, mais aussi la tentation d’en tirer une morale toute faite. Au-delà des quelques petits dérapages cités plus haut, le film convainc en tâchant de matérialiser ce mal terriblement humain, et les lois humaines non écrites qui le favorisent (cupidité, défi de l’ordre étatique, ressentiment sur fond de xénophobie), comme quelque chose de difficilement saisissable, n’acceptant que des explications embarrassées et aucune excuse, un flux qu’on ne peut espérer contrôler tout à fait. Et surtout, il formule cela sans sacrifier l’humanité chancelante de ses personnages sur l’autel de ses intentions.