Branle-bas de combat chez Libé, où se négocie le titre d’un article en forme de pavé dans la mare : « Révélations sur un scandale d’État » sera finalement validé, laissant au nouveau film de Thierry de Peretti le soin de mener l’enquête. Mais de quel scandale s’agit-il ? Il apparaît que les sept tonnes de cannabis saisies quelques semaines plus tôt à deux pas des Champs-Élysées proviendraient d’un trafic toléré par le patron des stups français en personne, Jacques Billard (Vincent Lindon), soucieux de remonter la filière plutôt que de se contenter du menu fretin. Révélations, c’était aussi le titre d’un Michael Mann d’avant le numérique, avec Al Pacino dans l’un de ses derniers grands rôles, celui d’un reporter chevronné, contacté par un « insider » en butte à un autre trafiquant notoire – l’industrie du tabac. Dans un film aussi axé sur la parole que celui de Peretti, le choix des mots ne peut laisser aucun doute : ce troisième long-métrage du cinéaste corse est porté par une ambition toute américaine, palpable dès l’ouverture, où l’élégance des mouvements d’appareil place la barre assez haut, fixant un cap que la mise en scène ne parviendra pas à tenir. On y suit les déambulations d’un homme dans une vaste villégiature de Marbella, jusqu’à une plage privée où des individus cagoulés déchargent depuis des Zodiacs une prodigieuse quantité de stupéfiants, indifférents à l’occupant des lieux. Séquence captivante, qui fait planer l’ambiguïté sur le statut de ce personnage inspiré comme tous les autres d’une « histoire vraie », dont il passe pour le narrateur omniscient et donc, littéralement, invisible.
« Ni flic, ni voyou, ni indic », déclare-t-il au micro de Libé. C’est que Hubert Antoine, à l’en croire, est un « infiltré », qui aurait gagné la confiance du réseau : le « gardien du dépôt », assure-t-il, c’est lui. Cette Enquête… est donc avant tout affaire de croyance, celle d’un journaliste (Pio Marmaï) pour sa source, jouée par Roschdy Zem, l’atout maître de la distribution, et le seul acteur à se hisser à la hauteur des modèles auxquels aspire le film. Son cocktail vénéneux de flegme et de paranoïa place sa prestation de solitaire insondable sous le signe d’une ambivalence jamais complètement dissipée, malgré les recoupements opérés pour vérifier la véracité de ses allégations. Face à lui, Marmaï peine à traduire le conflit dans lequel s’embourbe son personnage, sous l’emprise d’une confession-fleuve qui pourrait tout aussi bien relever de l’affabulation. Dans le box des accusés, Vincent Lindon ne convainc pas davantage en « grand flic » contorsionniste à même de désarçonner procureurs et magistrats ; la faute à une direction d’acteurs qui, à force de vouloir contourner la théâtralité attendue dans ce type de confrontations, finit par manquer de relief. Truffés d’hésitations, les interminables louvoiements du commissaire mettent d’autant plus en évidence la limite du film, à savoir la platitude avec laquelle l’exercice de la parole y est mis en scène. Et il s’agit précisément d’un film où l’on parle beaucoup, dans lequel le storytelling des uns et des autres s’oppose dans une féroce concurrence, au point de rendre toute vérité indémêlable et de défaire les alliances qui prévalaient encore la veille. En dépit d’un mixage sonore particulièrement immersif, le trouble ne s’installe pourtant que rarement devant ce récit qui aurait pu donner lieu à un thriller politique haletant en lieu et place de ce film-dossier foisonnant mais étrangement atone.