Cinéaste assez inclassable, capable récemment du plus intéressant (La Chambre des officiers, Inguélézi) comme du plus mou (Ibrahim ou les Fleurs du Coran), François Dupeyron a réalisé son nouveau film en un mois, ce qui est peut-être un peu court finalement, pour un film qui ne manque pas de charme dans ses couleurs, ses dialogues, mais reste très inégal et parfois très cloisonné.
François Dupeyron s’est donc installé aux Mureaux pendant quelques temps pour raconter l’histoire d’une famille et d’un quartier pas vraiment nantis, perdus entre les centrales électriques et le no man’s land de la grande couronne, perdus entre les problèmes de facture et la canicule de 2003. Alors que l’Europe sue sang et eau en ce mois d’août étouffant, Sonia marie sa fille : pas de chance, le mari et père un tantinet violent choisit ce jour pour mourir… Pour ne pas gâcher la fête, et pour garder la retraite de celui-ci tous les mois, Sonia, avec la complicité de Robert, le voisin malicieux -interprété par le délicieux Claude Rich- décide de l’enterrer à la cave et de faire croire à une disparition soudaine. C’est donc un portrait personnel, clairement positif de ce que l’on appelle dans une généralisation de plus en plus problématique, « la banlieue ». Dupeyron n’est pas le premier des réalisateurs à montrer la pauvreté, l’expérience de la solitude citoyenne : il a voulu ici dresser un tableau mi-figue mi-raison d’un espace qui semble détaché du reste de la population, et du reste de la cité.
La famille de Sonia vit en vase clos, confinée entre plusieurs tours dont l’immensité et l’inhumanité sont a priori une des causes de ce sentiment d’isolement. Mais cette famille est aussi à l’image de la communauté : très diverse, mélange de blancs et de noirs, témoin de la construction d’une micro-société délaissée. Dans la peinture visuelle de la communauté, Dupeyron a choisi la couleur ocre, celle des déserts sableux qui semblent renaître au travers d’un décor géographique et humain, et la couleur du mouvement, d’une caméra tremblante. Nous sommes dans un genre assez similaire à celui de la Palme d’or 2008, Entre les murs : dans les thèmes d’abord -le cloisonnement, le problème de la communication, la sympathie du réalisateur envers ses personnages-, et dans la forme. Mais là où Cantet réussissait à traduire une émotion sensible, un grain de peau, une tension épidermique, Dupeyron développe une instabilité et un montage -très vite fait visiblement- qui louche sur l’amateurisme. Le décadrage systématique, peu maîtrisé, lasse rapidement.
À l’inverse, l’écriture semble parfois trop cadrée, trop attendue : si Dupeyron réussit à mêler la fantaisie de ses protagonistes à la violence de leur situation sociale et financière avec intelligence, il échoue dans la construction de ses personnages qui, bien qu’ouvertement clichés, ne sont que des représentations plaquées sur l’idée de départ qu’est celle du désert isolé. Dans l’ordre, on a donc la copine volubile qui tient un salon de coiffure et « fait rentrer les idées par les cheveux », le fils fanatique des opiacés qui traîne de commissariat en cage d’escalier, la fille enceinte à quinze ans qui n’a pas eu de cours d’éducation sexuelle en 4e… et le vieux barbon qui a en fait un cœur d’or mais est terriblement seul. Après Cœurs et Le crime est notre affaire, Claude Rich reprend du service pour interpréter -avec brio cependant- ce qui va probablement devenir sa spécialité. Au milieu de jolis moments de silence ou de dialogues qui parviennent à transmettre une joie momentané, une inconscience de la jeunesse délaissée par l’éducation, on regrette que cette rencontre avec un « village d’irréductibles » soit parasitée par les mêmes tics sociologiques des reportages de télévision, et par un désir trop appuyé de représenter, au lieu de filmer.