Cinq ans après l’inégal Aide-toi, le ciel t’aidera, François Dupeyron revient avec un film ampoulé au titre lourd de sens. Malgré un casting de qualité mais sous-employé, Mon âme par toi guérie se perd complètement en cours de route, la faute à un scénario mal fichu et des partis pris esthétiques peu convaincants.
Si l’on excepte le calamiteux Trésor que François Dupeyron a accepté de terminer suite au décès prématuré de Claude Berri, cela faisait cinq ans que le réalisateur des fameux Drôle d’endroit pour une rencontre et La Chambre des officiers n’avait rien sorti au cinéma. Les difficultés rencontrées lors de la mise en chantier de Mon âme par toi guérie – projet qui daterait d’une dizaine d’années – ont contraint le réalisateur à s’exprimer publiquement sur les dérives intrinsèques au financement des longs-métrages en France. La polémique, loin d’être nouvelle, a néanmoins le mérite de mettre en lumière la question de l’uniformisation des œuvres et de la difficulté des metteurs en scène à pouvoir affirmer une vraie liberté créatrice. François Dupeyron, dont le premier film remonte à 1988 et qui a entre-temps rencontré quelques succès publics mais aussi essuyé des revers, semble se revendiquer de ceux-là. Pour le prouver, l’homme n’hésite pas à rappeler ses partis-pris formels et invoquer l’étrangeté qui parcourt son dernier film pour fustiger l’excessive prudence des chaînes de télévision à s’engager financièrement dans ses projets. S’il fait peu de doute que les mastodontes de l’audiovisuel préfèrent l’académisme à l’expérimental, on peut néanmoins émettre quelques grosses réserves à dire du cinéma de François Dupeyron qu’il ose au point de bouleverser les codes qui rassurent le grand public.
Certes, le thème qui parcourt Mon âme par toi guérie n’est pas des plus consensuels. Frédi, la trentaine déjà usée, refuse d’utiliser un don qu’il a hérité de sa mère récemment décédée : celui de pouvoir guérir avec ses seules mains les blessures physiques ou les maladies. Son engagement progressif en faveur d’une mise à disposition de ce talent ouvre évidemment une autre porte : celle de guérir les âmes en peine pour lesquelles toute dimension surnaturelle devient superflue. L’altérité, l’empathie et le don de soi synonymes de retour à la vie ? L’idée n’est pas nouvelle et ici un peu lourdement amenée, d’autant plus que le film justifie ce glissement progressif par un drame initial qui enferme Fredie dans une insoutenable culpabilité. Est-ce donc le choix du sujet et les propositions esthétiques qui en découlent (caméra portée, fortes contre-plongées, scènes hallucinatoires en noir et blanc) qui donneraient à Mon âme par toi guérie son statut d’œuvre trop audacieuse pour obtenir les financements nécessaires ? Lorsqu’on voit avec quelle poésie Jean-Claude Brisseau parvenait à injecter du mysticisme dans Céline (1992), on peut difficilement se montrer compatissant avec Dupeyron. D’autant plus que, pendant que l’un continue son travail d’artisan en livrant quelques miracles comme La Fille de nulle part, l’autre semble décréter qu’entre la retraite et un système pleinement adapté à la créativité des auteurs, rien n’existe. En somme, il ne suffit pas d’invoquer Tarkovski pour se donner l’épaisseur du réalisateur génial mais maudit.
C’est d’autant plus dommage qu’il ne faut pas aller bien loin pour voir que les difficultés liées au montage de Mon âme par toi guérie ne résident probablement pas seulement dans un manque de considération de la part des financiers, mais plutôt dans la qualité même du projet. Avec la lourdeur et la quête d’un symbolisme excessif qui caractérisent la majeure partie de son cinéma, François Dupeyron semble chercher une stylisation dans le seul but de se démarquer du tout-venant, sans vraiment se soucier de sa pleine cohérence et surtout de sa justification. Le scénario, très mal écrit, démultiplie les situations croisées jusqu’à perdre son fil conducteur. La détresse qu’inspirent certaines scènes est constamment surlignée par des dialogues qui explicitent tout (de la culpabilité, des petites lâchetés) et privent le projet d’un mystère qui devait pourtant lui être inhérent. Cerise sur le gâteau, l’insupportable bande musicale empêche le moindre silence et la moindre suspension, comme si le réalisateur était effrayé à l’idée que des creux lui échappent. Face à ce remplissage foutraque, il est donc bien compliqué de reconnaître à François Dupeyron l’audace de parier sur l’effort du spectateur pour venir jusqu’à son œuvre. Celle-ci est juste le mauvais simulacre d’un cinéma d’auteur français prétentieux et trop souvent caricaturé.