Lorsqu’Ido (Christoph Waltz), docteur en cybernétique, découvre Alita dans une décharge, ce n’est alors qu’un buste surmonté d’une tête chauve ravagée par le temps. Une fois réparé, le cyborg s’apparente à une adolescente qui se réveille dans une chambre d’enfant. Un gros plan saisissant laisse alors entrevoir un visage endormi qui prend progressivement vie, comme animé par une centaine de petits mécanismes. Alita est pourtant bien incarnée par une actrice (Rosa Salazar), dont la performance capture enregistre et mécanise les tressaillements des muscles faciaux. En plus du corps hybride (à la fois mécanique et vivant) de son héroïne, Alita : Battle Angel s’attache également à la différence manifeste entre les deux enveloppes corporelles qu’elle revêt au cours du récit. Cette exploration de la jeune fille cyborg, qui constitue l’intérêt majeur du film, relègue toutefois le reste des personnages, humains comme non-humains, au second plan. L’opposition en germe entre les êtres de chair et les êtres mécaniques qui peuplent Iron City, lieu de l’action, n’a par exemple pas le droit à un traitement aussi approfondi. Les cyborgs, présentés comme des criminels ou des mercenaires, n’ont pour seul intérêt que l’étrangeté de leur anatomie (l’un a un corps percé de trous, l’autre à une corpulence démesurée), pétrie d’une forme d’imagerie qui a toujours infusé les films de Robert Rodriguez (Spy Kids, Sin City, etc).
Corps inerte, corps vivant
Il faut toutefois louer le programme relativement macabre du film, qui tranche avec la candeur de son personnage : Alita endosse d’abord le corps qui était destiné à la fille d’Ido, récemment décédée. Son cœur surpuissant se voit alors contraint par un corps chétif (semblable à un squelette de porcelaine), alors même qu’il la destinait à être une arme de guerre. Cette enveloppe est par ailleurs gravée d’ornements dans son épiderme même, de sorte que le cyborg vit littéralement dans le corps d’une morte. C’est le beau paradoxe de ce personnage constamment stimulé par les émotions du présent (croquer dans une orange, manger du chocolat, jouer au Motorball, etc.) mais renvoyé au passé dans lequel le maintient son premier corps, par le regard du père endeuillé qui se pose sur elle.
La première scène d’action du film convoque également le passé du personnage : alors qu’elle s’apprête à frapper un adversaire en utilisant une technique de combat martienne, le Panzer Kunst, son geste poursuit, en un raccord, sa course dans un flashback la rappelant à sa vie antérieure de guerrière dans laquelle elle disposait d’un autre corps. Ce prolongement du geste indique dès lors que le mouvement n’appartient pas au corps mais bien à l’esprit, qui innerve ensuite l’enveloppe du personnage. C’est d’ailleurs en plein mouvement qu’Alita se voit démembrée plus tard par ce même adversaire, amorçant sa mue vers un nouveau corps plus puissant. Lorsqu’elle s’unit à son « corps de Berserker », une silhouette féminine se dessine numériquement, comme s’il se modelait en fonction de l’âge projeté par son subconscient. Elle adopte alors, en quelques secondes, le corps d’une femme en lieu et place de son apparence d’adolescente. Cette symbiose nouvelle, conquise au fil d’un apprentissage, permet à Alita de comprendre que sa véritable identité ne se joue pas dans la tension entre l’humain et le mécanique (comme c’est le cas pour son ami Hugo, dont le corps de chair est remplacé par un corps cybernétique à la suite d’une décapitation) ou le passé et le présent. C’est le sens de la confrontation, à plusieurs reprises, qui se joue entre son corps en mouvement et un miroir : Alita est un mouvement.