Après l’urbain Margin Call, le réalisateur J.C. Chandor choisit pour son deuxième long métrage une direction radicalement différente. Robert Redford est dans son bateau de plaisance, seul, dans l’océan Indien. Une collision le réveille : un trou dans la coque. Il faut réparer, et cette mésaventure n’est que le début d’une odyssée riches en péripéties.
Heureux qui comme Ulysse finit quand même par arriver quelque part
L’odyssée de Redford – on ne saura pas le nom du personnage – n’est pas celle écrite par Homère, pourtant. Son périple débute alors qu’il est seul dans son navire, endormi. Pourquoi ? Comment ? On n’en saura pas plus. Dès lors, All Is Lost prend vite des airs de récit allégorique. Uniquement des airs, cependant, car le film n’emprunte pas la voie, la plus facile, du récit symbolique facilement lisible. J.C. Chandor tourne autour de son acteur, néglige les plans larges, s’abstient d’avilir la mer au seul rang d’immensité écrasante rappelant l’insignifiance de l’homme. Tout passe par le jeu de Redford, par ses gestes habitués, ce qu’on perçoit de peur et de doute qui s’y installent…
La peur bleue
L’exercice est périlleux, d’autant que J.C. Chandor ne fait jamais intervenir de voix-off, mais l’acteur s’en sort bien. Du visage de l’acteur, du travail de mise en scène et du son dépend l’installation d’une tension qui sourd, doucement, jusqu’à devenir étouffante. Redford a cependant quelques passages parlés, durant lesquels il peine hélas à s’en sortir sans cabotiner. Dommage également que les effets spéciaux ne soient pas toujours convaincants, provoquant une mise à distance de l’auditoire, autrement happé par le récit. Comment récit immersif, All Is Lost est efficace et éprouvant. Mais la question demeure : où J.C. Chandor et Robert Redford veulent-ils nous emmener ? La réponse surprend, et le réalisateur fait là preuve d’un véritable courage formel et narratif.
Besoin de bornes
Après L’Odyssée de Pi et surtout Gravity, All Is Lost semble faire partie d’une nouvelle voie thématique troublante. Volontiers symboliques, plus (All Is Lost) ou moins (L’Odyssée de Pi) subtils, ces films paraissent vouloir diagnostiquer la présence inévitable de la peur. L’ennemi, vertigineux, c’est l’immensité, dénuée de bornes, de repères, de frontières. Le « film d’immensité » est-il une expression de l’angoisse, diffuse mais omniprésente, générée par la crise actuelle ? Doit-on voir dans la mer ou l’espace l’équivalent symbolique de l’anxiété face l’incertitude du lendemain ? Si c’est le cas, le propos d’All Is Lost est parfaitement terrorisant, et de voir ainsi confirmée la sentence énoncée dans le titre du film n’est guère réconfortant.