Mais qui est donc Ron Howard ? Un acteur raté reconverti dans la mise en scène de films à grand spectacle ? Un des symboles de l’industrie hollywoodienne et de ses paradoxes ? Un auteur qui dilue ses messages humanistes dans des superproductions ? Probablement tout ça à la fois, et même plus. Moins crédible que Scorsese, moins arrogant que Michael Bay et moins médiatisé que Spielberg, Ron Howard est pourtant l’un des réalisateurs américains les plus prolifiques et les plus populaires : Splash, Cocoon, Backdraft, Apollo 13, La Rançon, Le Grinch, Un homme d’exception (et bien d’autres encore)… c’est lui. Du cinéma pop-corn et familial, impeccablement produit mais totalement impersonnel.
Les oscars remportés en 2002 par Un homme d’exception (meilleur film et meilleur réalisateur, ainsi que de nombreuses nominations) semblent avoir convaincu Ron Howard et ses producteurs qu’il était plutôt doué pour raconter les histoires vraies de destins hors du commun. Et celle de Jim Braddock, légendaire boxeur dont le parcours atypique a bouleversé le New-York des années 20 terrassé par la Grande Dépression, a de quoi remplir les salles. 2h24 d’émotion, de larmes et de suspense servies par un casting doré sur tranche : la combinaison succès public / nominations aux Oscars semblait jouée d’avance.
Cet été pourtant, la machine hollywoodienne impeccablement huilée a connu quelques ratés. Michael Bay a connu le premier échec de sa carrière avec The Island. Un documentaire français avec des pingouins a remporté plus d’argent que l’adaptation de la série Ma sorcière bien-aimée. Et le grand mélo de Ron Howard n’a pas atteint la moitié des recettes d’Un homme d’exception, malgré des critiques dithyrambiques.
On ne peut alors s’empêcher de regarder De l’ombre à la lumière à l’aune de cet insuccès et trouver d’amusantes similitudes entre le destin de James Braddock et celui du film. Braddock était un boxeur brillant, époux aimant et père attentionné. Un homme un peu lisse, terni par une blessure qui l’empêcha de combattre au moment où le contexte économique l’obligeait à trouver coûte que coûte un moyen de nourrir sa famille. Le hasard le remit sur le ring, lui offrant une nouvelle carrière inattendue et surtout, le soutien de toute une communauté déprimée par le krach boursier et qui trouva en Braddock un héros populaire à son image. Il est encore trop tôt pour savoir si De l’ombre à la lumière connaîtra une seconde vie au moment des Oscars, mais on peut d’ores et déjà parier que le département marketing du studio doit travailler dur pour que le « conte de fées » se réalise.
D’autant plus que le film trace son chemin avec une efficacité redoutable. Certes, on ne retrouve ni l’ambiguïté scorsesienne d’Aviator, ni l’humour et la folie de Arrête-moi si tu peux de Spielberg, deux biopics (le terme américain désignant les biographies filmées) récents et réussis. Mais Ron Howard est un technicien très efficace, constamment au service de son histoire et de ses comédiens. La reconstitution du Manhattan de l’époque est irréprochable. Costumes et décors sont au diapason de l’ambition du cinéaste : signer une saga populaire en hommage à un homme ordinaire transformé en héros par la force du symbole qu’il représente auprès de ses congénères. Ron Howard n’est pas un cinéaste politique ; il préfère rendre hommage à ses contemporains en mettant en scène des personnages ordinaires qui accomplissent des actions extraordinaires. Une certaine naïveté ouvertement revendiquée, et qui fonctionne ici particulièrement bien, probablement parce que le metteur en scène a su brider ses excès habituels, le rapprochant de loin en loin de l’univers de Capra. L’art du mélo est affaire de dosage. Trop de violons par ci, un comédien un peu trop cabot par là, et c’est tout un film qui devient insupportable. Ron Howard réussit là où Paul Haggis, dont le Collision sort également cette semaine, échoue : jamais De l’ombre à la lumière n’essaie de manipuler le spectateur en utilisant des procédés douteux pour lui arracher une larme.
Pourtant, le film regorge de scènes bouleversantes. Quand Braddock retourne voir ses anciens patrons pour leur demander l’aumône, on est en droit de s’attendre au pire. Mais, conscient de la force dramatique de cette scène, Ron Howard en réduit les effets au maximum pour se concentrer sur le jeu de son acteur. La fêlure qui se devine dans le regard, la pose et la voix de Russell Crowe font tout le reste. Une fois de plus, le comédien néo-zélandais est exceptionnel, offrant une alternative aux intouchables Pacino ou Nicholson, icônes parfois surestimées d’un cinéma américain qui n’existe malheureusement plus (il suffit de regarder la filmographie récente de De Niro pour s’en apercevoir). Crowe est peut-être l’une des dernières stars à pouvoir incarner un héros de cinéma dont on devine à chaque instant les blessures et les failles, apportant à ses rôles les plus physiques un minimalisme étonnant, et vice-versa. Dommage qu’il ne mette pas plus souvent son talent au service de metteurs en scène moins installés.
Forcément, Russell Crowe écrase un peu ses partenaires, qui ne doivent se contenter que de quelques miettes. Renée Zellweger incarne l’épouse de Braddock avec un air dépité, comme si elle attendait son prochain Chicago. Idem pour Paul Giamatti, qui retrouve ici un second rôle de faire-valoir (l’entraîneur) comme ceux qu’il incarnait avant American Splendor et Sideways. Quant à la mise en scène de Ron Howard, elle est d’un classicisme absolu : amateurs de recherche formelle et cadrages ambitieux, passez votre chemin ! Les scènes de combat empruntent beaucoup à la maestria dont faisait preuve Michael Mann dans Ali, dans lequel les boxeurs semblaient littéralement danser sur le ring. Howard signe un film à l’ancienne, déroulant son intrigue avec l’inéluctabilité qui caractérise ces histoires chères à l’American dream. De l’ombre à la lumière est un film confortable, comme ces vieux fauteuils dans lesquels on aime se lover de temps en temps : rien de bien neuf ni de surprenant, mais le plaisir de regarder du beau travail, fait avec humilité par des gens qui croient en leur projet. Ce n’est pas si fréquent.