Il faut bien avouer que l’on attend peu de Ron Howard : prince du conformisme, roi depuis quelques années de l’adaptation de succès de librairie, le réalisateur tente cette fois de marcher sur les traces de Judd Apatow sans réussir à masquer ses pires travers. De clichés sociaux et narratifs en numéros comiques étirés jusqu’à la corde, le réalisateur que plus personne n’attend au tournant prouve que le ridicule peut tuer… le cinéma.
Visiblement, la virilité des mâles quadragénaires américains est sur la sellette : le beau, le grand, le généreux, le subtil Ron Howard se propose de la recadrer, la redéfinir et lui donner ses lettres de bassesse. Modelant quelques oppositions des plus simplistes surpassant les couples éculés du cinéma comique (le grand et le petit, le baraqué et le trapu), il nous explique à grands renforts de mimiques et onomatopées grossières ce qui fait pleurer les hommes. La réponse est simple : l’amitié, la vraie, celle qui se forge entre deux bières, deux matchs de hockey, deux accolades ventripotentes et couillues. Les deux compères sont veules mais tendres, et ne se sentiront jamais aussi bien que lorsqu’ils entendent vrombir les moteurs des voitures qu’ils créent. Les femmes, quand elles ne se comportent pas comme des mecs, sont les pantins, éternelles spectatrices des sketchs permanents des carcasses masculines qui leur servent d’amant ou de mari. Et lorsque l’une des deux compagnes agit enfin, elle se perd dans l’adultère, et, pour avoir bravé l’interdit du mâle et de la morale familiale, sera éjectée sans soupir du tableau, et sans encombre scénaristique. Au-delà de l’enfilade — et encore, pas tellement — de clichés sociaux et générationnels (du quadra effrayé par l’engagement au jeune amant forcément punk, drogué et dépressif), ce sont les lauriers tressés à l’utilisation d’un vocabulaire minimal, à une espèce de sous-culture sur laquelle règnent l’obsession du fric et les métaphores sexuelles grotesques qui ne mènent d’ailleurs jamais à l’acte.
L’éléphantesque Ron Howard déboule dans le genre comique comme dans un magasin de porcelaine. Courant derrière le succès des comédies Apatow, il cherche visiblement à reproduire le climat de la bromance, où la mécanique du rire est toujours tempérée par des plages de tendresse masculine. S’il y avait quelque chose à attendre de l’académisme du rouquin mystique, c’était, au moins, un pragmatisme à toute épreuve qui pouvait, à la rigueur, agréablement servir le genre. Or, on est en droit de se plaindre du rendement comique de ce Dilemme : son style paresseux, fait d’une alternance ronronnante de champs-contrechamps, alliée à une photographie urbaine léchée et garantie sans aspérité aucune, ne vise ici qu’à enrober les poussifs numéros de stand-up de ses deux acteurs stars, auxquels chaque scène sert de prétexte. Et quels acteurs ! Vince Vaughn et Kevin James qui, dans l’incessant éboulement d’une logorrhée grasseyante, sombrent dans l’auto-commentaire constant et poussif de leurs propres actions. Mais le blabla contreproductif que nous propose Le Dilemme, au lieu d’entretenir un élan comique, ou ne serait-ce que porter un regard doux-amer sur les dures réalités du couple — l’adultère, la flamme qui s’éteint, la confiance, l’engagement — semble jouer le chrono pour atteindre laborieusement ses deux heures. Car qu’entend-on derrière ces pénibles numéros, si ce n’est la glose auto-satisfaite de scénaristes en roue libre qui se gargarisent de leur propre écriture, glose que Ron Howard ne fait qu’illustrer — a‑t-il jamais produit autre chose que l’illustration de scénarios tantôt bons (Apollo 13), tantôt mauvais (Da Vinci Code) ?
Le stand-up est un genre de comédie à une voix qui brode du délire sur de l’anecdotique. Son action est microscopique : prélever un détail anodin du quotidien et l’amplifier sur scène pour y pêcher un ridicule insoupçonné. On pouvait au moins légitimement attendre de Ron Howard qu’il illustre le retour de cette discipline dans le terreau même de son inspiration, cette vie de tous les jours dont elle tire l’essentiel de ses gags. Il en aurait au moins sorti un spectacle sympathique. Mais le cinéaste manie très mal la répartition entre ces trois espaces — scène, salle et coulisses — qu’exige tout dispositif théâtral intégré à la fiction, même minimal. En les confondant, Ron Howard occasionne à chaque scène un grand déballage, de la part de ses deux showmen-next-door, qui, à force de durer et de s’admirer durer, embarrasse tous ses témoins, qu’ils soient personnages du film (leurs femmes, leurs amis, leurs familles, leurs collègues) ou simples spectateurs dans la salle. Le seul ressort comique de ce principe d’étirement tient d’ailleurs à la gêne, voire au malaise, que ne manquent pas de provoquer l’incongruité de leurs sorties. Qu’il s’agisse d’un toast porté à une soirée d’anniversaire ou de la présentation d’un nouveau modèle de moteur aux pontes de chez Chrysler, tout finit par conduire à cet échange de regards un peu crispé de pauvres témoins pris en otage, forcés d’assister à un stand-up pour lequel ils n’ont pas payé. Il en ressort une drôle d’atmosphère de surveillance où chacun semble épier la conformité comportementale de son voisin et où chaque excès au-delà de la norme, aussi artificiel soit-il, tient lieu d’effet comique. On ne saurait imaginer de programme plus plat.