L’heure de vérité… rien que cela. Vous ne saviez pas que Nixon avait organisé le cambriolage du Watergate et qu’il n’avait jamais été jugé pour ce haut fait de magistrature présidentielle ? Ron Howard va donc organiser par voie « cinématographique » le procès qui n’a jamais eu lieu en reprenant le fameux entretien « à scandale » de David Frost quelques mois après la procédure d’impeachment de Nixon. Entre malhonnêteté de genre et platitude discursive totale, le grand réalisateur du Da Vinci Code commet une nouvelle fausse chronique historique sans jamais regarder en face son sujet. Au pays d’Hollywood, on ne réfléchit plus beaucoup apparemment.
Il y a quelques décennies, l’histoire récente des États-Unis était filmée, pensée par des réalisateurs talentueux qui ne se contentaient pas de représenter à l’écran une société topique ou un événement historique revu et corrigé à la sauce people. En 1978, prenant le Viêt-Nam comme sujet dans Voyage au bout de l’enfer, Michael Cimino scrutait la société américaine et les horreurs d’une « sale guerre » sur quelques individus représentatifs des changements et des traumatismes de celle-là. Eu égard au Watergate, en 1976, Alan J. Pakula et ses Hommes du président entraient dans le détail d’une investigation journalistique et du danger qu’a représenté l’État dans cette quête de vérité. En 2008, nous avons subi le portrait du sympathique et jovial George W. Bush sans saveur politique, sans connexion, justement, entre l’homme et son État. Nous sommes en 2009, et Ron Howard continue sur cette belle lancée de la dépolitisation des sujets politiques au cinéma. Qu’est-ce Ron Howard a‑t-il donc voulu traiter en tournant Frost/Nixon ? La figure d’un président qui se dédit peu à peu ? La reprise du pouvoir politique par une presse utilisée et maltraitée sous la présidence d’un homme au brio médiatique certain ? Point de tout cela. On assiste bien davantage à une fausse reconstitution scandaleuse tendance « Hollywood stories » de l’entretien, à un duel pseudo-politique filmé comme un combat de boxe à grand renfort de champs-contrechamps et de musique soulignant absolument tous les moments dits clé. Bref, un nouveau coup d’épée dans l’eau du film historique hollywoodien qui commence à ressembler à une mare stagnante.
Il est tout de même passionnant de constater à quel point le mélange des genres cinématographiques est censé aujourd’hui pallier l’absence de talent chez certains réalisateurs : Ron Howard semble ainsi penser qu’une fiction assumée ne suffit pas à transmettre l’émotion du temps, le réalisme des situations, ou tout simplement la tension d’un événement particulier. Pour éviter d’engager une construction réelle, Howard préfère un mystère factice – Nixon est donc sans cesse filmé derrière un voile d’ombres, un halo de lumière aussi faible que la métaphore est banale – à une réactualisation de la controverse, voire une réflexion sur la fonction présidentielle ou les rapports entre pouvoir et justice. Frost/Nixon prend définitivement le spectateur pour un abruti : pour être nommé aux Oscars, il faut un minimum de complexité. Pour apparaître réaliste, il faut un minimum de faux documentaire. S’enchevêtrent ainsi des images d’archives totalement détournées et des séquences d’interviews reconstituées avec des acteurs jouant, entre autres, l’ancien chef de cabinet de Nixon, Jack Brennan. Trop occupé à développer une forme très désagréable de docu-fiction de pacotille, Howard en oublie les enjeux de son sujet : au lieu de filmer les arcanes de l’entretien et du retour sur la scène publique de Tricky Dick, méprisé à l’époque pour son Watergate et une terrible gestion du conflit vietnamien, il superpose les disputes, débats et discussions personnels dans chaque camp. Il multiplie les personnages secondaires (pauvre et inutile Rebecca Hall!) et tente enfin de créer une tension en filmant (platement) le fameux duel entre Frost et Nixon comme une partie de ping-pong, sans jamais avoir un seul éclair d’imagination ou de distance à ce qu’il se déroule devant lui.
Ron Howard passe à côté de tout : l’importance de son sujet et ce qu’il implique, le talent des deux acteurs – Frank Langella et Michael Sheen, qui incarnait Tony Blair pour Stephen Frears dans The Queen – lesquels paraissent sous-exploités. Nixon a les yeux noirs et fronce les sourcils en gros plan parce qu’il a été président, qu’il est nécessairement machiavélique, et qu’il manipule tout ce qui bouge. Frost est gentillet puisqu’il présente un talk-show, naïf, mais comme la justice – représentée, ben voyons, par la presse, et par Ron Howard – gagne toujours, il finira par devenir intelligent et malin et piquant et politiquement incorrect. Le film change constamment de point de vue, n’en adoptant aucun. Il est finalement à l’image des États-Unis de Nixon : dans l’impossibilité du questionnement, on préfère montrer l’envoûtement des êtres, surdimensionner les ressorts dramatiques, et on participe activement à cet amour américain de l’auto-flagellation devant caméra et de la confession publique. À la fin du film, Nixon, déboussolé par son interlocuteur qui va gagner la partie, a cette phrase prémonitoire : « Le défaut de la télévision est qu’elle simplifie les grands problèmes»… Devant un tel simplisme orchestré avec vanité par Ron Howard, on se demande si le cinéma des années 2000 ne serait pas en train de devenir la télévision des années 1970.