Comme dans Entre les murs et L’Atelier, Laurent Cantet se focalise ici sur les frictions provoquées par la difficile intégration des populations issues de l’immigration, en adoptant une perspective microsociologique. C’est en scrutant quelques relations interpersonnelles qu’il cherche à prendre le pouls d’une société divisée, en racontant comment Karim D., un jeune écrivain issu d’une cité de Bagnolet et tout juste confronté au succès, connaît une mort sociale instantanée alors que d’anciens tweets haineux publiés sous pseudonyme (« Arthur Rambo ») refont surface. En partant de ce canevas, le film fait du pourrissement de la vie publique par les réseaux sociaux la matière d’une réflexion sur l’ambivalence de la méritocratie française. L’ascenseur social y apparaît surtout comme un étau où se retrouvent pris ceux qui « réussissent », invités par le haut à abjurer la colère qui anime leur trajectoire, et par le bas à rester solidaires des injustices auxquelles ils ont fini par échapper.
L’intérêt d’Arthur Rambo réside essentiellement dans la manière dont il dépeint Karim D. comme un véritable transclasse et non comme un transfuge de classe, au sens où sa mobilité sociale n’est pas un simple état, mais un processus jamais achevé ; elle se traduit moins par le passage d’un monde social à un autre que par la persistance d’un entre-deux où il ne peut que difficilement se sentir à sa place. C’est là son véritable objet, la critique des formes virtuelles de communication faisant surtout office d’arrière-plan contextuel. Le traitement réservé à cette toile de fond n’est pas pour autant dénué de qualités : dans la première partie, où s’opère le rapide basculement de la gloire à la réprobation générale, la caméra cadre presque autant les visages que les téléphones portables, montrant habilement à quel point la chair du social est aujourd’hui plus que jamais médiatisée par des dispositifs qui dictent leur rythme aux formes de vie. Sous le regard effacé d’une mise en scène dont on pourra regretter le caractère globalement illustratif, les objets technologiques apparaissent néanmoins comme de véritables agents sociaux : ils imposent aux acteurs humains leurs réactions standardisées, imprimant leur direction au récit et aux dialogues.
Trouble défaite
Ce dispositif critique, simple mais efficace, se fait plus subtil dans la deuxième partie du film, où Cantet et ses coscénaristes (Fanny Burdino et Samuel Doux) cherchent à restituer au personnage de Karim D. la trouble opacité que sa vie numérique lui refuse. En témoigne la scène où Karim, dans un entretien où il cherche à se racheter, tente de contrebalancer ses propos antisémites par ses tweets islamophobes, arguant du fait qu’il est lui-même issu d’une famille de confession musulmane. Il revendique alors d’avoir « tapé » sur tout le monde pour inviter à réfléchir, avant de reconnaître que les provocations lui venaient « peut-être plus facilement quand c’était sur les Juifs ». Il serait un peu rapide d’y lire une manifestation de cette islamophobie latente consistant à faire des musulmans les fers de lance d’un « nouvel antisémitisme ». C’est plutôt l’ambivalence du personnage lui-même qui s’exprime sans être dissipée : ses convictions émancipatrices sont-elles en effet entachées d’une animosité inconsciente envers les Juifs ? Ou est-ce, plus banalement, qu’il est plus simple d’écrire des tweets haineux lorsqu’il s’agit de communautés auxquelles on n’appartient pas soi-même ?
Le film cherche ainsi à déchirer le voile du tribunal numérique, pour restituer à Karim ce qu’il lui refuse : l’ambivalence d’un engagement sincère dont on ne peut tout à fait exclure qu’il contienne aussi plusieurs zones d’ombre. Plus frontalement, Arthur Rambo invite à se demander si la mémoire pernicieuse d’Internet ne risque pas d’être tout particulièrement instrumentalisée pour disqualifier des transclasses issus de l’immigration dont certains préféreraient, du fait d’un racisme encore mal digéré, qu’ils restent à leur place. Si le film parvient ainsi tout de même à explorer un horizon plus intéressant que la seule peinture des affres des réseaux sociaux, le manque d’inspiration de sa mise en scène le cantonne toutefois dans les contours étroits d’un drame social assez conventionnel.