Laurent Cantet a tourné son nouveau film à La Havane, suite aux rencontres qu’il y avait faites pour son court métrage inclus dans le film collectif 7 jours à La Havane en 2012. Retour à Ithaque, cependant, affiche un dispositif qui rappelle un autre de ses films : Entre les murs — à ceci près qu’ici il n’y a pas de murs, du moins pas tout le temps, l’essentiel se déroulant sur une terrasse. Une bande d’amis, quatre hommes et une femme, y fête le retour de l’un après des années d’exil en Espagne. S’ensuit un film d’échanges dialogués à la chorégraphie précise, un peu trop peut-être : la menace du théâtre filmé plane bas. Pendant deux jours et une nuit, ça parle politique, art, football, mysticisme religieux, et sur un plan plus personnel ça s’épanche sur les espoirs, les regrets, les rancœurs, les non-dits.
¿ Somos Cuba ?
On retrouve, sous une forme fragile et pas des plus habiles, l’habituel souci de Cantet de conjuguer portrait sociologique et drames intimes. C’est une intention assez récurrente dans le cinéma français (et rarement pour le meilleur, faute de sincérité du regard), mais il faut reconnaître que Cantet s’y est toujours pris avec un peu plus de doigté que la moyenne de ses compatriotes. Le premier risque — et l’un des plus sérieux — est que l’intention se fasse trop remarquer. Dans Retour à Ithaque, on sent trop bien que les personnages et leurs dialogues, si bien écrits qu’ils soient pour paraître aussi naturels que les conversations arrosées qu’ils sont censés être, ont été pensés pour composer un panorama express de la société cubaine : les années militantes (pour le socialisme ou pour la démocratie), les chansons, la liste des écrivains célèbres, les conditions de vie, de départ et de retour, le recours aux magies blanche et noire, etc. Évidemment, s’imaginer qu’un tel catalogue peut rendre compte de Cuba est une illusion, et sur ce plan-là, le film apparaît comme l’œuvre d’un non-Cubain qui a bien fait ses devoirs sur le pays et veut le montrer — autant dire que cela n’est pas très intéressant.
Sans les murs
Le dispositif est plus pertinent quand il met en jeu le versant intime de ses personnages, ménageant les questions, les révélations, les rétentions d’informations, les lapsus, les griefs, etc. de façon à maintenir l’intérêt et l’envie de continuer à suivre la conversation, comme devant un feuilleton (un des personnages ne compare-t-il pas leur situation à celle d’une telenovela ?). Encore une fois, le dispositif reste très théâtral, son aspect artificiel ne se fait pas totalement oublier, mais cela produit quelque chose, même au forceps. Un autre élément parlant, plus cinématographique, reste ce qui cerne l’espace des échanges : pas de murs, comme on disait, mais les rues en contrebas, avec leurs rumeurs, où ceux qui se sont mis en retrait provisoire de la discussion peuvent plonger leur regard et laisser paraître muettement leurs doutes. Dans la scène du repas chez la mère de l’un d’eux, où l’on quitte temporairement la terrasse pour une salle à manger, les murs prennent un rôle naturel de refuge relatif à la mise en danger où les personnages s’exposent à l’extérieur. Voilà de petites touches qui complètent et rehaussent un film à l’arrivée mi-figue mi-raisin, ce sentiment qu’inspire globalement la filmographie du réalisateur de L’Emploi du temps, entre pesanteur des intentions sociologiques et vraie prise en charge cinématographique de l’humain.